Une croissance en baisse, un recours massif à la dette publique pour financer des changements sociétaux, des efforts financiers équitablement répartis en fonction des moyens de chaque Français, des taxes supplémentaires pour les ménages les plus riches…
Le rapport de France Stratégie sur la décarbonation de la France bouscule l’ordre économique établi
Non, il ne s’agit pas du programme du Parti communiste ou du NPA pour les prochaines élections, mais les conclusions d’un rapport de France Stratégie, l’institution publique rattachée au cabinet de la Première ministre chargée de proposer de grandes orientations sur le moyen et le long terme pour le pays…
Commandé par la Première ministre Élisabeth Borne à l’économiste Jean Pisani-Ferry, remis ce 22 mai 2023, il évalue les impacts économiques des objectifs français de baisse des émissions de gaz à effet de serre.
Le rapport rappelle d’ailleurs l’ampleur de la tâche, quasi-titanesque : « Pour atteindre nos objectifs pour 2030 » de réduction de 55% des émissions par rapport à 1990 « et viser ainsi la neutralité en 2050, il va nous falloir faire en dix ans ce que nous avons eu de la peine à faire en 30 ans ». Pour cela, les nouveaux investissements devront atteindre 66 milliards d’euros annuels en 2030.
Quand France Stratégie tord le cou aux idées reçues
Surtout, le texte tord le cou à une série d’éléments de langage couramment utilisés par la communication, en particulier gouvernementale, sur la transition énergétique. S’appuyer sur les petits gestes et la sobriété ? Ils ne pourront jouer que sur 15 % de l’effort à fournir, répond France Stratégie. Remplacer l’usage du pétrole, du gaz ou du charbon par des énergies renouvelables et du nucléaire reposera au contraire à 85% « sur la substitution de capital aux énergies fossiles ».
Défendre la « croissance verte », comme le proposait la loi de 2015 et le nom du ministère de l’écologie jusqu’à une période récente ? Les investissements indispensables pour limiter le réchauffement ne permettront pas de produire davantage, ou plus efficacement. Ils vont au contraire dans un premier temps entraîner un ralentissement de la croissance, répond France Stratégie.
Les investissements privés seront au centre de la transition ? « Les finances publiques vont être appelées à contribuer substantiellement à l’effort », répond France Stratégie. Le rapport estime même que, compte tenu de la baisse de la croissance et des dépenses publiques à engager, la transition énergétique fera peser un risque sur la dette publique « est de l’ordre de 10 points de PIB en 2030 (soit au moins 280 milliards d’euros, NDLR), 15 points en 2035, 25 points en 2040 ».
« Il ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique »
Surtout, le rapport indique clairement que la doxa de la rigueur budgétaire n’est plus de mise face à l’urgence : il juge qu’il « ne sert à rien de retarder les efforts au nom de la maîtrise de la dette publique ».
Enfin, le rapport indique que « le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti », et propose d’aller chercher l’argent là où il est : « un accroissement des prélèvements obligatoires sera probablement nécessaire, qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés ».
Reste à savoir si ce rapport sera, au final, enterré au fond du jardin d’Élisabeth Borne, ou s’il alertera sur la nécessité de changer les règles du jeu économique pour conserver une planète vivable.