Comment, sur l’un des continents les plus exposés aux conséquences du changement climatique, concilier productivité agricole, développement socio-économique et préservation de l’environnement – et, donc, de la « matière première » faisant vivre les agriculteurs ? La solution à cette délicate équation pourrait bien résider dans l’agriculture régénérative : des pratiques agricoles diverses qui, en Afrique, pourraient représenter une « opportunité pour les entreprises et la société de restaurer les terres », selon les conclusions d’un rapport récemment co-publié par l’Organisation des Nations unies (ONU) et l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une ONG de défense de l’environnement.
Associant agroforesterie, cultures intercalaires, paillage, rotation et diversification des cultures, non-labour ou labour bas, l’agriculture régénérative couvre un ensemble de pratiques qui vise, comme son nom l’indique, principalement à « réparer », « restaurer » ou « régénérer » les sols. Elle s’oppose en cela à l’agriculture intensive et industrielle qui, à force de labourer les sols, a tendance à favoriser leur érosion, tout en arrosant des cultures souvent mono-spécifiques d’intrants chimiques – pesticides, engrais, herbicides, etc. – et en faisant peser une pression insoutenable sur les réserves locales en eau. Bref, là où l’agriculture conventionnelle privilégie les rendements à court terme, l’agriculture régénérative s’inscrit, au contraire, dans une nécessaire perspective de long terme, à la fois pour les humains et leur environnement.
En Italie, le pionnier Gaetano Buglisi veut exporter son modèle sur tous les continents
En quoi ce corpus de pratiques agricoles, aussi innovantes qu’ancestrales, pourrait-il représenter une aubaine pour l’Afrique ? Sur le continent subsistent des dizaines de millions de petits exploitants et leurs familles, dont les conditions d’activité et d’existence sont particulièrement vulnérables au dérèglement du climat : selon les auteurs du rapport de l’ONU et de l’UICN, adopter des pratiques régénératives sur la moitié du continent pourrait entraîner une augmentation d’au moins 13% des rendements, tout en réduisant l’érosion des sols de l’ordre de 30%. De plus, la généralisation de telles pratiques permettrait aux sols d’emmagasiner jusqu’à 20% de carbone en plus – et donc de diminuer dans les mêmes proportions les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Autant de vertus qui font dire à Nigel Topping, représentant du Royaume-Uni pour l’action climatique, que l’agriculture régénérative est « le type de solution dont nous avons besoin pour accélérer l’action vers la neutralité carbone ».
Plusieurs projets et initiatives démontrent l’applicabilité de ces pratiques au contexte africain. Ainsi des pratiques adoptées en Italie par Gaetano Buglisi, qui exploite dans le sud du pays (Pouilles, Sardaigne et Sicile) plus de mille hectares de fruitiers exotiques. Biologiques, ses grenades, citrons et autres mangues bénéficient de technologies d’agriculture 4.0 ; la micro-irrigation permet d’éviter tout gaspillage d’eau ; et, en valorisant des terrains jusqu’alors abandonnés, les cultures de Gaetano Buglisi s’inscrivent résolument sur le temps long, avec des cycles de plusieurs années – originaire du Moyen-Orient, un grenadier ne porte, par exemple, des fruits qu’après quatre années de culture minimum. Autant de solutions qui peuvent être efficacement adaptées en Afrique, mais aussi en Asie ou en Amérique du Sud.
Les multinationales se convertissent à l’agriculture régénérative
Directement impactées par les conséquences du réchauffement climatique, les multinationales de l’agroalimentaire sont aussi de plus en plus nombreuses à redécouvrir les vertus de l’agriculture régénérative. Engagées par le groupe brassicole AB InBev, des mesures d’agriculture régénérative ont ainsi été déployées auprès de 15 000 paysans d’Ouganda, de Zambie et de Tanzanie, où une hausse des rendements en manioc de 350% a pu être observée. De son côté, Nestlé a lancé en octobre dernier son « Plan Nescafé 2030 » qui, doté de plus d’un milliard de francs suisses, vise à collaborer plus étroitement avec les cultivateurs de café, dont les surfaces de cultures pourraient diminuer de moitié d’ici à 2050 à cause de la hausse des températures.
« Le changement climatique met les régions productrices de café sous pression », relève David Rennie, directeur de la branche café du géant de l’agroalimentaire : « forts de dix années d’expérience (…), nous accélérons nos efforts pour lutter contre le changement climatique et relever les défis sociaux et économiques dans les chaînes de valeur ». Des enjeux qui concernent également l’industrie du luxe et de l’habillement : face à la nécessité de s’approvisionner en coton plus durable, le leader mondial du luxe, LVMH, soutient ainsi les producteurs tchadiens de coton dans leur transition vers une agriculture moins gourmande en eau. Le groupe favorise aussi l’agroforesterie et la restauration des sols, tout en encourageant un demi-millier de producteurs à planter des arbres à côté de leurs cultures de coton, afin de maintenir la fertilité des sols et la rétention de l’eau. Autant de projets qui dessinent les contours d’une agriculture plus durable, seule à même de répondre aux enjeux qui se posent au continent.