La bataille autour du Nutri-Score entre-t-elle dans sa dernière ligne droite ? Alors que les députés européens ont adopté, le 19 octobre, l’instauration d’ici 2023 d’un « système harmonisé obligatoire d’étiquetage nutritionnel » dans l’ensemble des États de l’Union européenne (UE), partisans et adversaires du logo promu depuis 2016 par les autorités françaises affûtent leurs arguments. Si les pro-Nutri-Score vantent les qualités de l’algorithme classant les aliments de a/Vert à E/Rouge, les « anti » dénoncent un système opaque, illisible par les consommateurs et faisant, paradoxalement, le jeu des produits ultra-transformés des industriels de la malbouffe, au détriment des produits bruts, traditionnels ou emblématiques de la richesse gastronomique européenne.
« Le mieux est l’ennemi du bien »
Un contresens qui hérisse les producteurs de miel, d’huile d’olive ou de fromages – 90% de ces derniers étant classés D ou E. « Est-il pertinent de penser améliorer la nutrition en notant des aliments sur la base d’une portion de 100 grammes, qui ne correspond ni à la quantité réelle consommée, ni aux recommandations gouvernementales sur l’alimentation ? », s’interrogent dans L’Usine Nouvelle les producteurs de Roquefort, en pointe dans la bataille contre le Nutri-Score. Au-delà de la question, sensible, de la juste « portion », c’est celle de la recette et du mode de production qui fait s’étrangler les premiers concernés, selon lesquels « cet étiquetage n’a de sens que pour les produits très transformés. Il est inapproprié aux aliments sous indications géographiques, très peu transformés et pour lesquels un cahier des charges interdit l’évolution de la recette traditionnelle ».
Qualifiant le Nutri-Score de « logo simpliste » et n’hésitant pas à faire part d’un « sentiment d’injustice », la Confédération générale des producteurs de lait de brebis ne rejette pourtant pas le principe même d’une meilleure information nutritionnelle à destination des consommateurs : « l’intention d’informer nos concitoyens sur leur alimentation est une démarche intéressante à laquelle nous souscrivons, a récemment réaffirmé l’interprofession au journal Libération. Mais pour nous, l’algorithme envisagé est partial, partiel et surtout injuste pour notre fromage ! ». Un appel qui trouve un écho chez certains responsables politiques : « le cahier des charges c’est déjà un acte de responsabilité vis-à-vis du consommateur. Le mieux est l’ennemi du bien », tranche le député de l’Aveyron Stéphane Mazars.
L’exemption au Nutri-Score, une fausse bonne idée
En attendant, l’ombre d’une prochaine généralisation obligatoire du Nutri-Score électrise le débat et pousse certains producteurs français dans leurs retranchements. À tel point que certains d’entre-eux n’hésitent plus à demander publiquement à ce que leurs produits soient purement et simplement exemptés du futur système. C’est le cas des producteurs de maroilles, qui ont estimé en avril dernier que les produits bénéficiant d’une AOC (appellation d’origine contrôlée) ou d’une IGP (indication géographique protégée) ou encore relevant du Cnaol (Conseil national des appellations d’origine laitières) devraient bénéficier d’un régime de faveur. Seule solution, selon eux, pour faire face au fait que la composition de leurs fromages ne peut, à la différence des produits industriels ultra-transformés, en aucun cas être modifiée.
Compréhensible, la réaction des producteurs de maroilles n’en est pas moins inappropriée. Elle s’inscrit en effet à rebours des aspirations des consommateurs français, dont les habitudes alimentaires ont beaucoup évolué au cours des années passées. Exprimant un fort besoin de transparence et d’une alimentation plus saine, une large majorité (64%) des Français se déclarent ainsi favorables à la mise en place d’un système d’étiquetage nutritionnel. Par ailleurs, près de six consommateurs sur dix (57%) affirment avoir déjà changé une habitude d’achat depuis l’arrivée des logos nutritionnels sur leurs produits. Autrement dit, le réflexe est déjà entré dans les mœurs ; pour les fromagers, décider de nager à contre-courant de leur clientèle apparaîtrait donc comme une stratégie risquée, au mieux conservatrice, au pire contreproductive.
L’exemple des producteurs d’huile d’olive espagnols
Car ce n’est pas tant le principe d’un étiquetage nutritionnel qui fait débat, que son dévoiement par les concepteurs et promoteurs du Nutri-Score. En Espagne, les producteurs d’huile d’olive, un produit lui aussi très mal noté par le Nutri-Score et dont les exportations pourraient pâtir de sa généralisation, se sont ainsi unis derrière l’idée d’un autre système d’étiquetage. Certains d’entre-eux plaident par exemple pour le concurrent du système français, le Nutrinform, dont ils estiment que les algorithmes ne pénalisent pas injustement leurs produits. Une stratégie en apparence plus constructive, qui ménage tant les intérêts des consommateurs que ceux de secteurs entiers de l’économie espagnole, et dont feraient bien de s’inspirer les fromagers français.