Une agriculture à bout de souffle
En Bretagne, l’agriculture se retrouve en première ligne face au changement climatique. C’est le constat sans appel dressé par les membres du Haut conseil breton pour le climat. Ce collectif de vingt scientifiques — géographes, agronomes, hydrologues, biologistes ou encore économistes — vient de publier un rapport pointant la vulnérabilité du modèle agricole breton, hérité de décennies d’intensification.
Leur message est clair : sans transformation profonde, l’agriculture régionale risque de ne pas survivre aux bouleversements en cours.
Le climat bouscule les cultures
Les effets du réchauffement se font déjà sentir. Les saisons se décalent, les cultures s’adaptent dans l’urgence. Les pommiers fleurissent plus tôt, les céréales sont moissonnées deux semaines à l’avance. Et ce n’est qu’un début : à l’horizon 2100, ce décalage pourrait atteindre un mois.
De nouvelles plantes, jusque-là inadaptées au climat breton, s’installent peu à peu. Des parcelles de thé ou de vigne apparaissent, et le sorgho — plus résistant à la chaleur — pourrait bientôt s’ajouter à la liste. Dans les régions voisines comme les Pays de la Loire, certains maraîchers ont déjà abandonné la mâche, le haricot ou le petit pois pour cultiver aubergines, poivrons, patates douces et piments.
Un modèle intensif sous pression
Mais au-delà des cultures, c’est tout un système qui est remis en question. L’agriculture représente 40 % des émissions de gaz à effet de serre en Bretagne, contre 31 % pour le transport routier. Et 58 % de cet impact provient du méthane issu de l’élevage.
La densité animale y est trois fois supérieure à la moyenne nationale. Résultat : la région n’a pas assez de terres pour nourrir son cheptel. Elle dépend massivement de l’importation de protéines végétales, notamment de soja venu du Brésil. Ce seul facteur représente près de 20 % de l’empreinte carbone de l’agriculture bretonne.
Le Haut conseil ne prône pas l’abandon de l’élevage, mais appelle à sortir de l’intensif. L’une des pistes : revenir à des systèmes herbagers plus autonomes, où les animaux se nourrissent davantage d’herbe locale. Autre levier : replanter des haies, ces bocages traditionnels qui stockent du carbone, limitent l’érosion des sols et protègent la biodiversité. Hélas, le rythme de destruction reste encore supérieur aux efforts de replantation.
Une transition encore fragile
Transformer un système aussi ancré ne se fera pas sans résistance. Le Haut conseil le sait bien. Il insiste sur la diversité des agricultures bretonnes : certaines exploitations sont déjà engagées dans la transition, d’autres restent attachées au modèle productiviste.
Les chercheurs ont auditionné les chambres d’agriculture, les industriels de l’agroalimentaire, et des agriculteurs engagés dans des réseaux comme Climatveg ou Fermadapt. Chez ces derniers, la prise de conscience est bien réelle. Ils expérimentent de nouvelles pratiques, testent des cultures adaptées au climat de demain, cherchent des alternatives viables économiquement et écologiquement.
Un rendez-vous pour en débattre
Pour ouvrir le débat à l’échelle régionale, un forum intitulé « Climat et territoires » se tiendra le 15 mai à Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor). Il réunira chercheurs, élus, agriculteurs et citoyens autour d’une question cruciale : comment repenser l’agriculture bretonne face au défi climatique ?
Un enjeu de survie pour une région agricole de premier plan, qui doit désormais composer avec un climat de plus en plus imprévisible. Le changement n’est plus une option, mais une nécessité.