Forêt française : l’aboutissement de siècles de travail forestier

Forêt française : l’aboutissement de siècles de travail forestier
Le travail de préservation de la forêt est aussi ancien que son exploitation. Et pour cause, si le couvert forestier métropolitain représente aujourd’hui 31% de la surface du territoire français, soit deux fois plus qu’il y a deux cents ans, c’est parce que les métiers et les savoir-faire forestiers ont toujours été au cœur du développement et de la protection de cet écosystème dynamique. Et ce, d’autant plus depuis qu’ils doivent faire face aux défis du réchauffement climatique.

Le couvert forestier actuel : le fruit d’une gestion méticuleuse et pluricentenaire

Dans un pays comme la France où la forêt dans sa forme primaire n’existe presque plus depuis le néolithique, les terres boisées ont très tôt fait l’objet d’une attention particulière des populations. Déjà au Moyen Âge, elles sont au cœur de la vie économique et sociale, et sont considérées comme un espace nourricier, pourvoyant des ressources alimentaires et surtout du bois, que ce soient pour le chauffage, la cuisson, l’artisanat ou encore la construction. Aussi fallait-il les soigner et les administrer pour qu’elles puissent continuer à produire sur le long terme les matériaux que requiert l’économie.

Dès le XIVe siècle apparaissent des formes développées de gestion forestière : des professionnels se penchent sur la gestion durable des coupes pour faire face aux grands défrichements de l’époque, inventent et déploient de nouvelles formes de sylvicultures pour optimiser le cycle de renouvellement des arbres. Ainsi fut sauvée par exemple la forêt de Retz, qui existe toujours de nos jours, et dont François Ier disait qu’elle était « la plus belle et la plus renommée du royaume ». La réputation qu’elle a encore aujourd’hui pour la qualité de ses hêtraies est le fruit du travail séculaire des maîtres des Eaux et Forêts, via la création d’un système de captage des eaux de ruissellement et la gestion pilotée des futaies.

Avec la croissance démographique et la révolution industrielle du XIXe siècle, le couvert forestier français accuse un net recul – passant de 14 millions d’hectares en 1380 à 7 millions en 1820 – tandis que les besoins en bois augmentent. À nouveau, ce sont les forestiers qui permettent le reboisement rapide de la France, notamment en s’attaquant à la transformation remarquable des taillis sous futaies en futaies régulières à partir du Second Empire. Un chantier titanesque rendu possible par la modernisation de la sylviculture et l’introduction par les forestiers d’espèces exotiques comme le séquoia ou le Douglas. En témoigne par exemple la naissance de la grande forêt des Landes, qui, avec son million d’hectares, est la plus grande forêt artificielle d’Europe occidentale.

L’importance historique de la filière bois dans la formation de la forêt française

Depuis toujours, le travail des forestiers est indissociable de celui des métiers de la filière du bois. La restauration de la charpente de Notre Dame – surnommée « la forêt » – a ainsi été l’occasion de redécouvrir les hauts savoir-faire techniques des bâtisseurs, aussi bien en termes de gestion forestière que de techniques d’équarrissage. Selon l’archéologue Frédéric Epaud, contrairement à l’idée reçue selon laquelle les constructeurs de cathédrales auraient rasé des forêts entières en utilisant des vieux arbres, ces derniers avaient développé d’une part une sylviculture durable de jeunes chênes longs et rectilignes, et d’autre part des techniques de taille qui respectaient les sinuosités du bois en taillant à minima, pour conférer aux futures poutres résistance et flexibilité.

Sous Colbert, qui voulait garantir à la France l’autosuffisance en bois et la construction d’une marine puissante, c’est encore l’association des charpentiers de marine et des sylviculteurs qui a permis aux forêts métropolitaines de retrouver leur éclat. Les domaines sont alors cartographiés et inventoriés avec précision, tandis que sont tracées de grandes allées pour éclairer la sylve et faciliter l’exploitation. Il reste de cette époque la majestueuse forêt de Tronçais, dont les bois de chêne sont prisés mondialement pour la tonnellerie. Le travail des forestiers l’a en effet transformée en une des plus belles futaies d’Europe – classée au patrimoine culturel immatériel français – dont les chênes qui poussent lentement et de manière régulière permettent d’obtenir des grains très fins et un bois aromatique. L’idéal pour les fabricants de tonneaux, barriques, fûts ou cuves destinés aux grands crus.

Force est de constater que ce lien vertueux entre les métiers du bois et la préservation des forêts ne s’est pas démenti avec le temps. Lors de la révolution industrielle, c’est la demande de bois pour les traverses des chemins de fer et les étais des mines de charbon qui a incité les forestiers à trouver des solutions techniques innovantes mariant les besoins de l’industrie à ceux du maintien durable de leurs exploitations. Pour reprendre l’exemple du boisement des Landes, les forêts du Sud-Ouest sont ainsi devenues le berceau d’un secteur économique dynamique et ont fait de la Nouvelle-Aquitaine la première région française en termes de production de bois. Aujourd’hui, les métiers de la filière bois régionale emploient à eux-seuls quelque 56 000 salariés répartis dans 28 300 entreprises.

Les forestiers en première ligne dans le combat contre le réchauffement climatique

Les enjeux du réchauffement climatique ont remis en évidence la fonction vitale des arbres, la photosynthèse faisant des forêts et des sols forestiers le deuxième plus grand puits de carbone de la planète après les océans. Or devant les vagues de sécheresse et de feux dévastateurs, ou la prolifération de parasites et de maladies qui font dépérir les arbres depuis les dernières décennies, le travail des forestiers est essentiel pour la préservation des forêts et l’avenir climatique de la France. D’ores et déjà, les gestionnaires forestiers ont opté pour des méthodes de sylviculture durable adaptées aux conditions climatiques actuelles et à celles pronostiquées pour 2100.

Elles comprennent notamment la plantation d’essences d’arbres qui sont climatiquement viables à l’avenir, c’est-à-dire qui présentent une résilience supérieure aux attaques de parasites et aux chaleurs caniculaires. Mais aussi la mise à profit des dernières innovations technologiques comme l’utilisation des drones qui permettent – entre autres applications –, d’observer les peuplements, de détecter rapidement la propagation d’une maladie ou encore d’identifier les zones qui présentent des risques d’incendie. Autant de nouveaux savoir-faire qui continuent à faire des forestiers du XXIe siècle les sentinelles vigilantes des forêts de l’Hexagone.