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« L’innovation n’est pas une finalité, mais une culture continue à développer au sein de la filière forêt-bois », Apolline Oswald et David Annic (Xylofutur)

Longtemps perçue comme une filière traditionnelle, la forêt-bois est aujourd’hui confrontée à des défis majeurs : transition numérique, adaptation climatique et attractivité des métiers. L’innovation, souvent associée à d’autres secteurs, s’impose désormais comme un levier incontournable pour répondre à ces enjeux et moderniser la filière. Apolline Oswald et David Annic, de Xylofutur, expliquent pourquoi l’innovation doit devenir une culture partagée et comment leur pôle de compétitivité accompagne cette transformation stratégique.

  1. Pouvez-vous nous présenter Xylofutur et expliquer le rôle d’un pôle de compétitivité nationale dans le développement de secteurs stratégiques ?

A.O : Xylofutur est une association professionnelle fondée en 2005, en réponse à un appel à manifestation d’intérêt lancé dans le cadre de la création des pôles de compétitivité. Elle porte ainsi le projet de pôle de compétitivité dédié à la filière forêt-bois. À l’origine, en 2005, cette initiative a vu le jour en Aquitaine grâce à quelques acteurs locaux, notamment des entreprises et des laboratoires, souhaitant collaborer et développer des projets de recherche et développement (R&D) sur leur territoire. Dès cette année-là, l’association a obtenu le label « Pôle de compétitivité ».

Un pôle de compétitivité, par définition, vise à accompagner l’innovation dans un secteur donné. On en recense 52 en France, couvrant des domaines variés tels que l’aéronautique, l’agriculture, les mobilités, le numérique ou encore la santé. En ce qui concerne Xylofutur, nous structurons notre accompagnement en trois grands services pour répondre aux besoins d’innovation de la filière forêt-bois.

Le premier service est consacré aux projets de R&D, lesquels consistent à mettre en relation entreprises et chercheurs afin de favoriser des collaborations fructueuses et à les accompagner à structurer leur projet ainsi que de mobiliser des financements publics ou privés pour leur réalisation.

Le deuxième service, développé depuis 2021, est dédié aux projets européens. Son objectif est de créer des réseaux européens solides, sur lesquels s’appuyer pour intégrer nos adhérents dans des projets financés par l’Europe.

Enfin, nous avons mis en place un service spécifique aux startups, baptisé « La Woodtech ».

D.A : La Woodtech, en effet, existe depuis presque quatre ans et a déjà accompagné 45 startups. Nous avons identifié de nombreuses jeunes entreprises dans la filière, et la mission initiale de la Woodtech a été centrée sur leur accompagnement, notamment pour soutenir leur développement commercial. Cela passe par un appui en matière de visibilité, par l’identification et l’accès à des financements publics et privés, ainsi que par une mise en relation et une veille active des opportunités adaptées à leurs besoins.

Depuis deux ans, notre rôle s’est élargi, avec une dimension plus institutionnelle, notamment grâce à la mission confiée par le ministère de l’Agriculture, qui nous a chargés d’élaborer la feuille de route nationale de l’écosystème des startups. Cette nouvelle fonction vise, d’une part, à piloter le développement de l’innovation portée par ces jeunes entreprises et, d’autre part, à favoriser leur intégration dans les réseaux et les acteurs établis de la filière.

Cela est crucial, car les startups représentent une source d’innovation majeure dans la filière forêt-bois. Ce vivier compte environ 1 500 à 2 000 personnes travaillant directement sur des projets innovants. Il est donc essentiel de ne pas négliger cette force, qui constitue un levier significatif pour le développement et la modernisation du secteur.

  1. La filière forêt-bois est souvent perçue comme traditionnelle. Cependant, de nombreuses innovations voient le jour…

 D.A : Notre filière est confrontée à des impératifs majeurs, tant en matière de souveraineté industrielle et environnementale que d’attractivité. Moderniser la filière s’inscrit donc dans une dynamique essentielle pour répondre à ces enjeux globaux. Cette modernisation est d’autant plus nécessaire que nous accusons un retard significatif, notamment dans le domaine du numérique. Contrairement à d’autres secteurs, notre filière n’a pas pleinement amorcé sa transition digitale, que ce soit au niveau des outils, des modes opératoires, de la communication ou encore de la culture d’innovation.

Il est crucial de combler ce retard pour rester compétitifs face à des marchés voisins, comme ceux de l’Allemagne ou des pays d’Europe du Nord, qui investissent massivement dans l’innovation. Nous devons nous hisser à leur niveau pour ne pas être distancés.

Un autre enjeu majeur réside dans l’attractivité des métiers de la filière. En adoptant une image moderne et innovante, nous pourrions attirer davantage de jeunes talents et des compétences variées. Aujourd’hui, les nouvelles générations hésitent à s’engager dans un secteur perçu comme archaïque en termes de processus. Par ailleurs, il est impératif d’ouvrir la filière à des profils diversifiés, en dépassant son fonctionnement en vase clos. Nous avons besoin de spécialistes en communication, marketing, ventes, développement ou encore en gestion de données, qui ne sont pas forcément associés spontanément à la filière forêt-bois mais dont l’apport est fondamental.

Lors de l’introduction de la Journée de l’innovation, Dominique Weber, Président de CSF-Bois, a rappelé que l’innovation est un levier stratégique pour accroître la compétitivité. Elle permet d’améliorer les performances, d’optimiser les processus et de développer des produits différenciants, offrant ainsi de nouvelles marges de manœuvre sur le marché.

A.O : La résilience des forêts face au changement climatique force aussi l’innovation. La France compte environ 17 millions d’hectares de forêts, dont la gestion sylvicole constitue la base de la filière bois. Les enjeux liés au changement climatique — tels que les tempêtes, les incendies ou d’autres aléas climatiques à court terme — nécessitent de repenser les pratiques forestières.

À travers des projets portés par les entreprises et la recherche, nous travaillons activement sur ces problématiques. La prévention et la détection des incendies, ainsi que l’adaptation des forêts aux nouveaux défis climatiques, sont autant de priorités qui nécessitent des solutions novatrices.

  1. Lors de la Journée de l’Innovation Forêt-Bois, quelles ont été les innovations les plus prometteuses présentées pour la filière ?

 D.A : Lors de la Journée de l’Innovation, un des messages centraux a été celui d’Arnaud Groff, CEO d’Inovatech 3V, qui a insisté sur l’importance de considérer l’innovation non pas comme une finalité, mais comme une culture continue à développer au sein des entreprises. Ce changement de paradigme représente, selon moi, la première étape à instaurer dans la filière forêt-bois. Il s’agit d’opérer une transformation en profondeur de l’approche des entreprises face à l’innovation.

A.O : Les tables rondes ont permis de mettre en lumière une large palette d’innovations. Parmi celles-ci, on peut citer le développement d’un système de plancher bois-béton, conçu en partenariat entre une entreprise et un laboratoire universitaire, ou encore la refonte des processus de modélisation des bâtiments par les bureaux d’études, avec pour objectif une automatisation accrue. D’autres initiatives incluent la régénération des sols dégradés pour permettre la croissance de nouvelles essences, ainsi que l’extraction de protéines à partir du bois pour l’alimentation animale. Ces exemples reflètent la diversité des projets portés par la filière forêt-bois et soulignent son utilité dans des domaines variés.

D.A : L’intégration de l’intelligence artificielle a également été mise en avant, notamment pour le monitoring et le contrôle des forêts, la gestion des données ou encore l’amélioration de la productivité. En aval, des applications innovantes issues de la chimie du bois se révèlent particulièrement prometteuses. Elles permettent de créer de la valeur ajoutée à partir de composants dérivés du bois tout en répondant à des enjeux environnementaux majeurs. Ces nouvelles perspectives offrent des opportunités passionnantes pour valoriser la ressource tout en contribuant à des solutions durables.

  1. Collaborez-vous avec des acteurs internationaux pour mutualiser la recherche ?

A.O : Au niveau européen, nous avons identifié plusieurs réseaux similaires au nôtre avec lesquels nous collaborons pour intégrer des entreprises dans des projets d’innovation. Cela correspond aux objectifs définis dans notre feuille de route déposée en 2023 pour la période 2023-2026 : favoriser l’intégration des entreprises dans ces initiatives tout en assurant leur financement. Nous commençons à obtenir des résultats concrets, avec plusieurs entreprises qui répondent désormais à des appels à projets européens. Cette dynamique contribue à renforcer notre visibilité à l’échelle internationale.

D.A : Nous avons déjà participé à plusieurs projets européens, notamment dans le cadre du programme Interreg, où nous avons constaté que les compétences développées en France pouvaient être partagées et diffusées à l’étranger. Rien de ce que nous mettons en œuvre sur notre territoire ne devrait rester cantonné à un cadre national. Ces interactions européennes sont essentielles pour exporter notre savoir-faire. Cela se traduit d’ailleurs par des sollicitations régulières de la part d’autres pays, curieux d’en apprendre davantage sur nos technologies et nos innovations.

Ces échanges avec d’autres clusters européens sont également une opportunité pour tisser des relations solides. Nous envisageons de développer des formats condensés permettant aux entreprises françaises de rencontrer des experts et des partenaires potentiels sur de nouveaux marchés. Il existe un véritable potentiel à exploiter. La France dispose d’un savoir-faire reconnu, tout comme certains de nos voisins. Il nous revient de travailler activement pour préserver et renforcer notre positionnement actuel.

  1. Quelles sont les innovations prioritaires sur lesquelles la filière doit concentrer ses efforts pour rester compétitive et durable ?

D.A : Depuis que je travaille au sein de Woodtech, une question revient fréquemment : le retard de la filière est-il lié à un problème générationnel ? Initialement, je le pensais. Cependant, avec le temps, j’ai réalisé qu’il s’agit moins d’une question de génération que d’un enjeu ontologique. La proportion d’acteurs véritablement tournés vers l’innovation reste trop limitée, ce qui démontre la nécessité d’intensifier les efforts de sensibilisation. C’est précisément ce que nous avons entrepris avec la Journée nationale de l’innovation. Par ailleurs, grâce aux services proposés par le pôle, nous pouvons également encourager cette transformation culturelle au sein de la filière. Instaurer de nouveaux modes de pensée serait déjà une avancée majeure.

Ce changement devrait naturellement conduire à une digitalisation accrue des outils utilisés dans la filière, adaptés à tous les usages et à l’ensemble des métiers. Cela concerne notamment la sylviculture, où préserver la ressource forestière est une priorité absolue. L’analyse des données issue de ces outils devrait permettre de faire émerger les innovations visant à atteindre cet objectif.

En parallèle, le secteur de la construction représente un autre axe stratégique. La filière doit répondre à un véritable enjeu de souveraineté, tant pour les entreprises que pour la société dans son ensemble. Construire davantage de logements de manière respectueuse de l’environnement permettrait de répondre à des besoins multiples, tout en renforçant notre compétitivité sur ce marché.

  1. Certains acteurs du secteur construction ont demandé le report de la RE 2020…

D.A : Comme je le mentionnais, il existe des tendances macroéconomiques et sociétales qui dépassent le cadre de notre secteur et s’imposeront tôt ou tard. Adopter une mentalité proactive est essentiel : plutôt que de chercher à retarder ces évolutions, il serait plus pertinent de soutenir tout ce qui peut nous aider à nous conformer dès maintenant. Résister à ces changements constitue un faux combat, une dépense d’énergie inutile, alors que l’adaptation permettra de mieux préparer l’avenir.

A.O : Il est crucial de ne pas percevoir ces réglementations, comme la RE2020, comme un obstacle. Chercher à les repousser ne ferait que freiner l’innovation et son développement. La filière forêt-bois, de surcroît, est déjà largement engagée sur le plan environnemental et n’attend pas les obligations légales pour innover. Ce sont précisément ces acteurs, moteurs du changement, qui guideront la filière dans la bonne direction, en valorisant une approche durable et tournée vers l’avenir.

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