Xavier Kreutzer, Directeur du pôle communication digitale, Forward Global
Michel Kreutzer, Professeur émérite (éthologie et psychologie comparée), Université Paris-Nanterre
Vous ne connaissez peut-être pas Peter Marler, éthologue brillant, mort il y a une dizaine d’années. C’est l’occasion de lui rendre hommage en décryptant son travail et en capitalisant sur certains enseignements que nous pouvons mettre à profit de nos stratégies de communication.
Communication humaine et communication animale : leçons des chants d’oiseaux et des cris des primates
La communication est au cœur de toute interaction sociale, qu’elle soit humaine ou animale. Peter Marler, dans son article « Les communications animales », a mis en lumière la complexité et la richesse des systèmes de communication chez les animaux, en particulier les oiseaux et les primates. En examinant de plus près ces systèmes, nous pouvons non seulement identifier des ressemblances et des différences avec la communication humaine, mais aussi tirer des leçons précieuses pour améliorer nos propres interactions.
Ressemblances entre communication humaine et animale
Tout d’abord, il est crucial de reconnaître les similarités fondamentales entre les communications humaine et animale. Les deux reposent sur la transmission d’informations au moyen de signaux via divers canaux – visuels, acoustiques, chimiques et tactiles. Par exemple, les chants d’oiseaux et le langage humain utilisent tous deux des signaux acoustiques pour transmettre des messages complexes. Les jeunes oiseaux, comme les enfants humains, apprennent à communiquer en écoutant et en imitant leurs aînés, un processus qui souligne l’importance de l’apprentissage social dans le développement des compétences de communication.
Les signaux dans les deux cas servent à organiser coopération et compétition telles qu’attirer un partenaire, défendre un territoire, signaler un danger, ou coordonner des comportements sociaux. Par exemple, les cris d’alarme chez les primates peuvent être comparés aux avertissements verbaux humains, tous deux servant à alerter les membres du groupe d’un danger imminent.
Différences entre communication humaine et animale
Cependant, des différences notables subsistent. La plus évidente est la complexité et la flexibilité du langage humain. Tandis que les animaux ont des répertoires de signaux limités et souvent spécifiques à des situations particulières, les humains possèdent une capacité unique à générer une infinité de messages nouveaux grâce à la grammaire et à la syntaxe. De plus, la communication humaine intègre des éléments abstraits et symboliques, permettant la discussion de concepts intangibles tels que le passé, le futur, et des idées théoriques.
Une autre différence majeure réside dans le contexte culturel de la communication humaine. Les langues humaines évoluent et se diversifient en fonction des cultures et des sociétés, un phénomène moins prononcé dans la communication animale où les signaux tendent à être plus universels au sein d’une espèce donnée. Mais avec tout de même des variantes d’un groupe à un autre, on parle alors de dialecte, à l’instar des singularités régionales chez l’humain.
Quelles leçons en tirer pour la communication Humaine ?
En dépit de ces différences, les humains peuvent tirer de nombreuses leçons des systèmes de communication animale pour enrichir leurs propres interactions. Voici quelques pistes inspirées par les travaux de Marler :
Clarté et simplicité : les signaux animaux sont souvent très clairs et spécifiques à des situations données. En communication humaine, simplifier le message et éviter les ambiguïtés peuvent améliorer la compréhension et réduire les malentendus.
Observation et écoute active : tout comme les jeunes oiseaux apprennent en observant et en écoutant, les humains peuvent améliorer leur communication en prêtant une attention particulière aux signaux non verbaux et en écoutant activement les autres.
Adaptabilité : les animaux adaptent leurs signaux en fonction du contexte et de l’audience. Les humains pourraient bénéficier d’une plus grande adaptabilité en modifiant leur style de communication pour mieux répondre aux besoins et aux attentes de leur interlocuteur.
Peter Marler a révolutionné notre compréhension de la communication chez les oiseaux en démontrant que leurs chants sont adaptés à leur environnement et à leurs besoins immédiats. Cette adaptabilité peut être transposée dans nos stratégies digitales. À l’ère du big data et de l’analytique, les entreprises peuvent apprendre à moduler leurs messages sur les réseaux sociaux en fonction des données démographiques et comportementales de leur public, un peu comme les oiseaux ajustent leurs chants à leur contexte.
Apprentissage continu : la plupart des animaux, par exemple les oiseaux et les primates, ont un plafond de verre qui les stoppe dans leurs capacités d’apprentissage. Tout du moins, pour ce qui est de leur performance (production : chants, gestes…) car en ce qui concerne leurs compétences (capacité à reconnaître de nouveaux signaux), ils ne connaissent pas le même genre de limite. C’est là une grande différence avec les êtres humains qui eux bénéficient de cette merveilleuse opportunité de pouvoir apprendre toute leur vie et adapter leur répertoire de communication.
Nous pouvons nous appuyer sur les travaux d’autres scientifiques pour démontrer que la communication a des liens étroits avec les modes d’échanges entre les animaux et doit s’inspirer.
Les abeilles communiquent des informations complexes à travers une danse simple mais extrêmement efficace. Pour les marques, cela souligne l’importance de la cohérence et de la clarté dans la communication sur les réseaux sociaux. Un message bien conçu doit être immédiatement compréhensible, qu’il s’agisse d’un tweet, d’une publication Instagram ou d’une mise à jour LinkedIn. Chaque message doit clairement diriger les consommateurs vers l’action souhaitée, similairement à la précision d’une abeille indiquant une source de nectar.
Frans de Waal a mis en évidence la complexité des interactions sociales chez les chimpanzés, qui utilisent le toucher et le jeu pour renforcer les liens et communiquer. Sur le plan digital, cela nous enseigne la valeur de l’engagement interactif. Les entreprises devraient envisager des stratégies de contenu qui encouragent l’interaction, comme des sondages, des jeux, ou des discussions en direct, favorisant ainsi une communauté active et engagée autour de la marque.
Les cétacés, tels que les dauphins, utilisent une gamme complexe de sons pour communiquer. Cette diversité peut être parallèle à l’utilisation de contenus multimédia dans les communications digitales. Les entreprises peuvent utiliser une variété de formats – vidéos, podcasts, infographies – pour enrichir l’expérience utilisateur et augmenter la portée et l’efficacité de leurs messages.
Les oiseaux nous donnent un exemple remarquable d’efficacité du message transmis en répétant de manière diverse et variée la même information. La redondance, loin d’être monotone, peut même revêtir des aspects esthétiques. On parle dans les stratégies de communication, de répétition, d’impact et de performance. La répétition permet de déployer les messages et d’arriver à ses fins : impact et influence, notoriété et génération de leads.
Les stratégies de communication digitale peuvent gagner en profondeur et en efficacité en s’inspirant des principes observés dans la communication animale. Ce croisement entre éthologie et communication corporate ne vise pas seulement à captiver l’audience mais à transformer notre manière de concevoir la communication à l’ère digitale.
Les travaux de Peter Marler et d’autres experts du comportement et de la communication animale offrent un riche terrain de réflexion pour comprendre les fondements biologiques de nos propres interactions. En reconnaissant les similarités et en respectant les différences, nous pouvons puiser dans les leçons de la nature pour affiner et enrichir notre manière de communiquer. Après tout, qu’il s’agisse du chant d’un oiseau ou d’un discours humain, l’objectif ultime de la communication reste le même : créer des liens et partager des significations.
Sources :
- Peter Marler (1973), Les communications animales, La recherche, numéro 36, page 644-660