À chaque kilomètre parcouru, les pneus des véhicules relâchent une quantité phénoménale de particules de plastique dans l’air. Une enquête inédite met en lumière ce risque sanitaire et écologique méconnu, révélant que l’usure des pneus, même sur les véhicules électriques, est loin d’être anodine.
Une pollution invisible mais massive
Chaque kilomètre parcouru par un véhicule émet entre mille et dix mille milliards de particules de plastique fines et ultrafines, soit une taille de 10 microns à 7 nanomètres. Cette découverte provient d’une enquête réalisée par Émission Analytics pour l’association Agir pour l’environnement. Cette pollution microplastique, générée uniquement par l’abrasion des pneus, est encore trop souvent ignorée, bien qu’elle représente une charge importante pour l’environnement. En effet, ces particules, invisibles à l’œil nu, sont dispersées dans l’air et s’infiltrent partout, rendant cette pollution difficile à contrôler.
À l’échelle d’une vie de véhicule, soit environ 250 000 kilomètres, un pneu perd entre 17 et 40 kilogrammes de gomme. Cette masse qui s’échappe sur les routes contribue de manière insidieuse à la pollution microplastique mondiale. Bien que cette usure soit naturelle, son impact environnemental est massif lorsque l’on multiplie ce chiffre par les millions de véhicules en circulation. À chaque trajet, ces fragments de caoutchouc finissent dans les écosystèmes et représentent une menace potentielle pour la faune et la flore.
Pour évaluer cette pollution, Emission Analytics a mené des essais rigoureux en faisant rouler deux véhicules électriques de types différents – une Fiat 600e, SUV compact, et une Tesla Y, SUV plus imposant. Chacun a parcouru environ 1 100 kilomètres sur divers types de routes (urbaines, rurales et autoroutes). Chaque pneu a été équipé de capteurs permettant de recueillir et d’analyser en temps réel les particules émises, puis il a été démonté, nettoyé et pesé pour mesurer l’abrasion. Cette méthodologie minutieuse a permis de définir précisément l’empreinte chimique de chaque pneu et d’en quantifier les émissions.
Un risque sanitaire majeur
L’enquête révèle que 99,97 % des particules émises sont de taille inférieure à 2,5 microns, une taille particulièrement préoccupante pour la santé humaine. Ces particules fines, appelées PM2,5, sont assez petites pour pénétrer les voies respiratoires et même le sang, posant un risque élevé pour la santé publique. Parmi celles-ci, entre 92,3 et 97,4 % mesurent moins de 100 nanomètres (PM0,1), ce qui les rend presque indétectables par les systèmes actuels de surveillance de la qualité de l’air, échappant ainsi aux radars des autorités sanitaires.
Les analyses chimiques ont permis d’identifier des composés organiques volatils (COV) spécifiques dans chaque pneu, dont de nombreux hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) classés cancérigènes. Ces particules contiennent également des alcanes, alcènes et alcynes cycliques (AAA-C), connus pour leur effet irritant sur les muqueuses et leurs potentiels dommages aux organes. En s’accumulant dans l’environnement et dans les organismes, ces particules ne présentent pas seulement des risques respiratoires, mais également des dangers pour les organes internes à long terme.
Cette pollution par les particules fines issues des pneus, jusqu’ici relativement sous-estimée, constitue un problème de santé publique préoccupant. Bien que de nombreuses organisations surveillent la pollution de l’air, les particules de taille nanométrique continuent d’échapper aux dispositifs de mesure, d’où une urgence pour les autorités de mieux encadrer et réguler ce type de pollution. Le risque sanitaire, renforcé par la circulation accrue et l’usage de véhicules de plus en plus lourds, doit être pris en compte pour adapter les normes de santé environnementale.
Des enjeux et responsabilités partagés
L’étude a montré que le poids et la puissance des véhicules influencent directement la quantité de particules émises. La Fiat 600e et la Tesla Y, testées dans l’enquête, présentent des différences de poids de 464 kg et de puissance de batterie de 105 kW. Ce surpoids augmente de 86 milligrammes les émissions de particules plastiques par kilomètre. Ainsi, plus le véhicule est lourd, plus il contribue à cette pollution invisible, qu’il soit électrique ou thermique. Cette découverte soulève la question de la conception des voitures modernes, souvent plus lourdes en raison des batteries, et de l’impact environnemental qu’elles induisent.
Face à l’ampleur de cette pollution, une sensibilisation accrue est indispensable. Les consommateurs, souvent peu conscients de ces enjeux, doivent être informés de l’impact de leurs choix de véhicules. L’étude d’Émission Analytics alerte sur la nécessité de repenser la mobilité durable, en intégrant des critères de réduction de la pollution de particules en plus des émissions de CO2. Une prise de conscience collective pourrait encourager une demande pour des véhicules plus légers et plus respectueux de l’environnement.
Enfin, l’ONG Agir pour l’environnement appelle à des mesures réglementaires pour encadrer et limiter cette pollution. Des solutions existent pour minimiser l’abrasion des pneus, comme le développement de matériaux plus résistants et l’intégration de systèmes de captage de particules. Le renforcement des régulations et le soutien à l’innovation sont des éléments clés pour combattre cette pollution insidieuse. Face à ce constat alarmant, l’industrie automobile et les pouvoirs publics doivent conjuguer leurs efforts pour repenser la mobilité et protéger notre environnement.