« Le travail du forestier, c’est le travail d’aujourd’hui pour demain », Aldric de Saint Palais (FNEDT) et Nicolas Jobin (UCFF-Les Coopératives Forestières)

« Le travail du forestier, c’est le travail d’aujourd’hui pour demain », Aldric de Saint Palais (FNEDT) et Nicolas Jobin (UCFF-Les Coopératives Forestières)
Méconnus, les métiers de la forêt sont pourtant aussi variés qu’essentiels à notre économie et à notre société. Pour mieux comprendre les enjeux et les défis de ces professions, Aldric de Saint Palais, Chargé des services Forestiers de la Fédération Nationale des Entrepreneurs des Territoires (FNEDT) et Nicolas Jobin, responsable de la communication de l’Union de la Coopération Forestière Française ont accepté de répondre à nos questions.
  • La filière forêt-bois offre une diversité de métiers. Pourriez-vous nous en décrire quelques-uns et expliquer leur importance dans cette industrie ?

Aldric de Saint Palais   : Le métier le plus emblématique, celui auquel tout le monde pense, c’est le bûcheron. Qu’ils travaillent à la main avec une tronçonneuse, ou dans une abatteuse, ce sont eux qui sont chargés d’exploiter et d’entretenir la forêt. Ils interviennent aussi après les tempêtes pour dégager les voies ou les lignes électriques, téléphoniques, etc. Les conducteurs d’engins (débusqueurs, porteurs, etc.) prennent leur suite pour débarder et sortir les troncs de la forêt. Il y a aussi les sylviculteurs, qui plantent et entretiennent la forêt de demain. Ce sont les métiers qu’on voit fréquemment en forêt.

Nicolas Jobin : Notre filière regroupe plus d’une centaine de métiers différents, allant de la forêt à la transformation et au travail du bois. Ce sont des métiers exercés dans des univers très variés : en pleine nature, en scierie, dans des bureaux d’études, sur des chantiers, etc. Cette diversité de métiers est un atout fort pour l’attractivité de notre filière. Ils reposent tous sur la passion du bois et de la nature. Les forestiers sont par définition des passionnés qui travaillent avec humilité et dans le temps très long, celui des forêts. Les professionnels de la transformation du bois, sont tout aussi importants (opérateurs de scierie, pilotes de scies). D’autres métiers, plus récents, de support et de services, se concentrent sur des sujets d’ambitions comme le carbone, le changement climatique, la R&D…

  • Les métiers liés à la forêt sont fréquemment perçus comme risqués ou dangereux. Dans quelle mesure cette perception correspond-elle à la réalité ? Quelles mesures sont prises pour garantir la sécurité des travailleurs dans ce secteur ?

Aldric de Saint Palais  : Oui, nos métiers sont risqués. Pour limiter les risques, l’élément essentiel, c’est la formation. Les équipements de sécurité sont incontournables et efficaces, comme l’entretien des machines pour limiter les risques, et l’étude minutieuse des chantiers pour que les moyens humains soient en cohérence avec les besoins. En scierie, l’électronique a beaucoup aidé dans la sécurisation des machines, en permettant notamment aux ouvriers de les arrêter instantanément en cas d’accident.

Mais c’est vrai que ce sont des métiers qui demandent de vraies qualités de concentration et d’attention, car ils demandent la manipulation d’outils coupants, et s’exercent parfois isolé, ce qui renforce la dangerosité. Parce que ces métiers en forêt se trouvent loin des secours et des hôpitaux, la filière a développé une application gratuite (Point de Rencontre des Secours en Forêt) pour que les professionnels et les touristes puissent signaler rapidement leur position pour alerter précisément et rapidement les secours en cas d’accidents ou de blessures.

Nicolas Jobin : Ces dernières années, de nombreux métiers de supports ont été créés spécifiquement sur le volet sécurité. Nous le voyons dans les grandes coopératives forestières ou au moins un responsable qualité sécurité veille à la bonne mise en œuvre de la politique sécurité de l’entreprise. La filière est en recherche constante d’amélioration, la sécurité des travailleurs en forêt prévaut plus que tout le reste.

  • Les métiers forestiers sont souvent associés à une main-d’œuvre masculine. Est-ce toujours le cas  ? Si oui, quelles sont les raisons derrière cette tendance et quelles initiatives sont prises pour favoriser la diversité ?

Aldric de Saint Palais : La FNEDT représente les métiers agricoles et de la forêt, et nous observons une féminisation des métiers, certes trop lente. Nous avons mis en place des campagnes de communication pour donner envie aux femmes de nous rejoindre. Historiquement, les métiers forestiers sont très physiques, mais la mécanisation de nos métiers a permis d’effacer cet aspect et de rendre de facto nos professions plus inclusives. Nous avons l’image de métiers très masculins Mais nous sommes heureux de voir des reconversions professionnelles de femmes vers nos métiers forestiers, même en bûcheronnage !

Nicolas Jobin : Nous observons une évolution des missions portées par les salariés femmes de la filière. Par exemple, les salariées qui ont connu ce métier il y a une trentaine d’années pouvaient être cantonnées à des missions administratives, malgré leur formation de terrain. Aujourd’hui la tendance est différente. Certes, il y a plus de bûcherons et de conducteurs d’engins masculins que féminins, mais dans de nombreux autres métiers comme le conseil forestier et l’ingénierie forestière ou encore les “nouveaux métiers” comme l’impact carbone et la recherche et le développement, les femmes sont de plus en plus présentes. Le regard sociétal évolue aussi, et c’est tant mieux. On retrouve de plus en plus de jeunes femmes en formation forestière. Dans des coopératives forestières, les jeunes générations de forestiers récemment recrutés sont très diversifiées, ce sont des femmes et des hommes motivés à s’impliquer pour les forêts de leurs territoires. 

  • Quels sont les parcours typiques pour devenir forestier ou professionnel du bois ? Y a-t-il des formations spécifiques ou des certifications nécessaires pour exercer ces métiers ?

Nicolas Jobin : À l’instar de tous nos métiers, les formations sont très diversifiées. Il y a des emplois et des formations à tous les niveaux. Au total, nous comptons plus de 600 organismes de formation qui permettent de se former aux métiers de la filière bois française. Et ce qui est intéressant, c’est qu’il n’existe pas une seule voie de formation. Les formations forestières vont du CAP, en passant par le BAC professionnel, le BTS, la licence, le diplôme d’ingénieur, et le doctorat. Au total, il y a plus de 120 diplômes et certifications différents qui permettent de se former avec des niveaux de qualifications multiples. Des reconversions professionnelles sont également possibles, à tout niveau et tout âge.

Aldric de Saint Palais : Oui, les études de niveaux BAC +4 et BAC +5 amènent aux métiers d’ingénieurs forestiers ou d’ingénieurs bois tandis que les BTS et les licences (BAC +2 et BAC +3) concernent la gestion forestière et l’industrie du bois. Les niveaux BAC professionnel et CAP forment plutôt les ouvriers forestiers, les opérateurs de scierie ou de machine. Il y a aussi des personnes qui n’ont pas fait d’études en lien direct avec les métiers de la forêt et du bois et qui se retrouvent dans nos métiers. Je pense notamment aux études d’architecture et de design pour les métiers du bois, ou encore aux études de biologie et de science du vivant pour les métiers de la forêt. Notre secteur est si vaste qu’il est également aisé de faire des reconversions professionnelles en son sein.

  • La pénurie de main-d’œuvre observée dans de nombreux secteurs a-t-elle également un impact sur la filière forêts-bois ? Comment promouvoir les métiers de la filière du bois et de la forêt auprès des jeunes et des personnes en reconversion professionnelle ?

Nicolas Jobin : Comme toute filière industrielle, la filière forêt bois n’échappe pas à la pénurie de main-d’œuvre. Notre principale locomotive dans la filière forêt bois, c’est le secteur de la construction. Autrement dit, lorsque les matériaux biosourcés comme le bois sont freinés, cela représente un impact sur l’économie forestière et sur le bois d’œuvre. Notre activité est donc conjoncturelle et va varier selon le marché. Concernant la pénurie de métiers, certains de nos métiers sont plus touchés que d’autres, notamment ceux où la pénibilité du travail peut être assez élevée. Pourtant, ils sont indispensables à notre activité. Très clairement, sans ces métiers, nous n’avons pas de bois, donc nous n’avons pas de construction, ni d’ameublement, ni de parquet, ni de carton etc.

Aldric de Saint Palais : Globalement, les métiers principalement en tension dans notre filière sont ceux des Entreprises de Travaux Forestiers (ETF) et surtout ceux qui nécessitent le plus de compétences techniques comme les conducteurs d’engins ou les bûcherons manuels qui ont besoin d’une formation très pointue. Nous manquons aussi de planteurs et d’ouvriers sylvicoles, bien que les formations soient plus courtes. Il est donc clair que nous devons nous faire connaître d’un plus large public. Les métiers exercés en forêt présentent des particularités qui ne conviennent pas à tous : travailler avec une équipe restreinte, vivre loin de la ville et des centres urbains… mais sont des métiers de passionnés, qui aiment travailler dans la nature, au contact des saisons.

  • Est-ce la seule particularité de ces métiers ?

Nicolas Jobin : Non, c’est vrai qu’il y a quelque chose de fondamentalement différent dans les métiers forestiers. Il y a une certaine convivialité et familiarité qui se créées sur le lieu de travail. Lorsque vous partez en mission dans la nature, vous passez la totalité de votre journée avec votre équipe, vous déjeunez en pleine forêt, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Cette solidarité se ressent sur le terrain, l’échange humain se fait bien plus sentir que dans n’importe quel autre cadre professionnel. C’est selon moi l’une des forces de notre filière.

Alors oui, le cadre et le rythme de vie imposés ne conviennent pas à tout le monde, mais lorsque vous travaillez dans la filière forêt bois, vous le faites par passion et par conviction. C’est ce que nous essayons de mettre en valeur à travers notre initiative VeryWoodMétiers en s’adressant à des jeunes ou des moins jeunes (en reconversion professionnelle) en quête de sens. Et travailler dans la filière forêt bois, c’est donner du sens à sa vie professionnelle et sa vie personnelle. Pour ma part, lorsque je parle de mon métier, je n’évoque pas la communication en premier lieu, je parle d’abord de la forêt. Parce que je suis un passionné et je suis fier de faire partie d’une filière qui contribue à la vraie écologie et à répondre aux besoins de la société. Ne l’oublions pas : récolter des arbres et utiliser du bois, c’est de l’écologie.

Aldric de Saint Palais :  Oui, travailler dans le milieu forestier, c’est une réelle vocation. Les forestiers savent pourquoi ils font ce travail, ils connaissent pleinement le sens et l’ampleur de leur action au quotidien. Ils savent qu’ils sont à la fin et au début d’une aventure pour le bois. Nous travaillons pour les générations futures. Nous plantons des arbres que nous ne verrons pas adultes et pour des générations à venir. Notre action a une portée sur plusieurs siècles. Les arbres des poutres utilisées aujourd’hui pour Notre-Dame ont été plantés en 1800 ou 1850 par quelqu’un qui pensait les utiliser pour la construction d’un bateau ou celle d’une grange. Finalement, elles ont servi à la reconstruction de Notre-Dame, c’est une histoire magique.

Nicolas Jobin : Le travail du forestier, c’est le travail d’aujourd’hui pour demain. Notre activité s’inscrit totalement dans une logique circulaire. Nous reprenons continuellement le flambeau de nos prédécesseurs. C’est pour moi l’image même de la générosité et du partage. À l’inverse, ceux qui nous voient comme des tueurs d’arbres agissent de manière personnelle, égoïste, sur du court terme. Nous avons un impact sur le paysage parce que nous coupons des arbres aujourd’hui, mais nous savons très bien que les arbres qui viennent d’être récoltés ont déjà été récoltés il y a 100 ans puis ont été renouvelés, et d’ici 100 ans, il y aura une nouvelle forêt, un nouveau paysage qui va évoluer. C’est le cycle de notre métier, il s’appréhende sur du long terme. Et les attaques et contestations que nous recevons s’inscrivent dans une vision court-termiste et souvent dogmatique. Se plaindre de voir le paysage forestier changer près de chez soi après une coupe, c’est nier le travail de gestion forestière dans le temps long. C’est oublier que les générations futures bénéficieront des bienfaits de cette même forêt qui est accompagnée dans sa régénération naturelle ou replantée de manière adaptée au changement climatique. Mais c’est également nier toute l’utilité du bois récolté et transformé qui va se retrouver dans notre quotidien pour une consommation plus écologique et responsable.