Le réchauffement climatique favorise la multiplication des parasites
Les forêts françaises sont « de plus en plus affectées par le changement climatique, avec notamment une accélération de la mortalité des arbres, et une multiplication de crises entraînant un ralentissement du puits de carbone des forêts sur la dernière décennie », relèvent ainsi les auteurs de l’inventaire, selon lesquels « la surface forestière touchée par le dépérissement est équivalente au cumul des surfaces touchées par les incendies de ces 35 dernières années ». En cause notamment, la hausse, en durée et en intensité, des sécheresses, qui accélèrent le dépérissement des arbres tout en les rendant plus vulnérables aux incendies.
Mais aussi, de manière plus insidieuse, la multiplication des bioagresseurs, ces insectes parasites et champignons qui prolifèrent à mesure que les arbres s’affaiblissent. Certaines espèces d’arbres se montrent particulièrement vulnérables à ces attaques combinées : c’est le cas, spectaculaire, de l’épicéa commun, un résineux qui « est désormais la première essence touchée par la mortalité, devant le châtaignier et le frêne », alors qu’il a été « largement implanté en plaine dans des contextes fertiles et chauds qui font actuellement face à un réchauffement et une baisse de la pluviométrie plus marqués », observe l’IGN dans son rapport.
Les élus, les propriétaires et les forestiers en première ligne
C’est dans les régions françaises au climat continental, comme le Jura, les Vosges ou les Alpes que la prolifération des ravageurs semble la plus inquiétante. Mais le phénomène, quasi-épidémique, s’étend désormais à l’ensemble du territoire métropolitain, n’épargnant ni les forêts de Normandie ni celles des Hauts-de-France. Ce sont cependant les régions Grand-Est et Bourgogne-Franche-Comté qui demeurent les plus affectées par les assauts des insectes xylophages, d’après un tout récent rapport de l’Office national des forêts (ONF) : 20 millions de mètres cubes de bois concernés par ces attaques de parasites, soit environ 60 000 hectares de forêts.
Au premier rang de ces parasites, le tristement célèbre scolyte : un minuscule coléoptère, dont les dégâts sur les arbres sont inversement proportionnels à sa taille (l’insecte mesure moins de 5 millimètres). Les femelles creusent des galeries sous l’écorce des arbres pour y pondre leurs œufs, condamnant ceux-ci à brève échéance. Problème : le cycle de vie de ces insectes étant fortement accéléré par les effets du réchauffement climatique, les scolytes s’attaquent en premier lieu aux arbres faibles, vieux ou malades, puis aux arbres sains. Résultat : des massifs entiers, déjà affaiblis par le dérèglement du climat, sont décimés en un temps record.
Face à cette silencieuse hécatombe, les forestiers ne sont pas totalement démunis. Plusieurs leviers d’actions se présentent à eux. À commencer par l’établissement d’un état des lieux du phénomène, mené en concertation avec le ministère de l’Agriculture, l’ONF et les collectivités locales concernées. La détection précoce des arbres attaqués permet, ensuite, de couper les arbres condamnés afin de tenter de ralentir la prolifération des scolytes. Enfin, le piégeage aux phéromones et, le cas échéant, des coupes sanitaires exceptionnelles, permettent de suivre la dynamique des insectes et de remplacer les essences vulnérables par des espèces mieux adaptées aux nouvelles conditions climatiques.
« Le bois malade n’est pas du bois perdu »
Cette inédite « crise des scolytes » met donc en lumière deux enjeux cruciaux : l’importance de la résilience, à long terme, des forêts, et le rôle primordial des forestiers pour les y aider ; et la perte, massive, de matériau pour une filière bois-forêt pourtant incontournable pour décarboner l’économie tricolore. Comme l’a récemment rappelé le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau lors du salon Woodrise à Bordeaux, « si on veut décarboner la construction, on n’y arrivera pas sans le bois ». Mais que faire, alors, de tout ce bois attaqué par les scolytes ? Est-il définitivement perdu, ou y-a-t’il moyen de le valoriser ?
Le sujet a mobilisé l’ONF et la Fédération nationale des Communes forestières (FNCOFOR), qui viennent de publier un document mettant en avant les perspectives de valorisation de l’épicéa scolyté dans les projets de construction. Selon Dominique Jarlier, le président de la FNCOFOR, « la recherche a permis de confirmer que les propriétés mécaniques des bois n’étaient pas altérées par les scolytes et qu’il était donc possible de créer des bâtiments avec ces bois. Des élus ont alors su démontrer que l’utilisation de bois scolytés dans les projets de construction était réalisable et à envisager pour de futurs projets ». En d’autres termes, « le bois malade n’est heureusement pas du bois perdu ». En effet, la totalité du bois scolyté en raison des assauts subis entre 2018 et 2021 a trouvé preneur, car celui-ci conserve toute sa résistance et ses propriétés en termes de construction.
« Plus de 60 % de ces bois ont très vite été vendus grâce aux contrats d’approvisionnement qui stipulaient une intervention rapide pour exploiter et sortir les bois des forêts, seule façon de lutter efficacement contre le parasite », ajoute Aymeric Albert, directeur commercial bois ONF. De plus, la solidarité entre communes forestières a permis d’écouler, en priorité, le bois des communes les plus touchées. Une organisation millimétrée qui a aussi permis d’éviter la saturation du marché régional, grâce au travail des gestionnaires privés (coopératives forestières) et publics qui se sont organisés pour évacuer le surplus de bois d’abord localement, puis dans d’autres régions françaises. Et si acheter du bois scolyté était, finalement, un nouveau « geste citoyen, responsable et solidaire » comme se plaît à l’imaginer Patrick Chaize, président des communes forestières de l’Ain ?
« Il y aura d’autres crises »
Reste donc à convaincre les clients et utilisateurs finaux que l’épicéa scolyté est tout à fait exploitable. Comme le rappelle Nathalie Mionetto, chargée de territoire Nord-Est à l’institut technologique FCBA, « le bois est une matière vivante qui n’est pas toujours homogène. (…) Avec le changement climatique, il y aura malheureusement d’autres crises comme celle du scolyte de l’épicéa. Il faut donc apprendre dès aujourd’hui à utiliser des bois qui seront porteurs de singularité ». Et faire d’une épreuve une opportunité pour inventer de nouveaux usages, de nouveaux modes de consommation et même, pourquoi pas, de nouvelles tendances esthétiques.