Avantageux environnementalement et sur le plan économique, le peuplier pourrait être amené à jouer un rôle important, en France, dans les prochaines années, alors qu’il ne représente pour l’instant que moins de 2 % de la surface forestière tricolore.
Pour endiguer le dérèglement climatique, mieux vaut activer l’ensemble des leviers disponibles, car, à l’échelle mondiale, le mois de juin qui vient de s’écouler est le plus chaud jamais enregistré, selon l’observatoire européen Copernicus, dont les données remontent jusqu’à 1950. En moyenne, il a fait 16,51 degrés Celsius dans le monde, soit un demi degré au-dessus de la moyenne des trois dernières décennies. La France, elle non plus, n’a pas été épargnée, puisque l’Hexagone a connu le deuxième mois de juin le plus chaud, juste derrière celui de 2003, d’après Météo France, qui promet d’ores et déjà un été très chaud, avec quelques épisodes de sécheresse à envisager. Des prévisions loin de faire les affaires des estivants, mais également (et surtout) des forêts.
« L’augmentation prévue des épisodes de sécheresse estivale devrait accroître le stress des arbres en forêt et les rendre plus sensibles aux ravageurs et aux maladies, explique Waldwissen, une plateforme spécialisée dans la forêt et la sylviculture. Pour diminuer le risque de dégâts, il est primordial de sélectionner des essences mieux adaptées à la station. » Des essences plus résilientes face aux températures croissantes, qui captent beaucoup de carbone – le CO2 est responsable en grande partie du réchauffement des températures dans l’atmosphère –, voire, pourquoi pas, qui présentent des atouts dans la production d’énergie.
« Le peuplier est probablement l’une des seules essences à tirer profit des conditions climatiques des dernières années »
La forêt n’est pas seulement une victime du dérèglement climatique. Bien gérée, elle fait aussi office de solution (inestimable) pour lutter contre ses effets. La loupe devrait être braquée en particulier sur les forêts de peupliers. « Le peuplier est probablement l’une des seules essences à tirer profit des conditions climatiques des dernières années, indique Fransylva, qui représente en France les propriétaires forestiers, dans un dossier spécial sur les peupliers. Le captage du CO2 est plus efficace en raison de sa croissance rapide. [Sans compter que] le peuplier se recycle […] en bois énergie. »
Comme le rappelle l’Office national des forêts (ONF), l’appellation « bois énergie » désigne l’utilisation du bois à des fins énergétiques pour produire principalement de la chaleur et de l’électricité après transformation. « Le bois énergie, indique également l’ONF, est une énergie renouvelable – c’est la première source en France – et économique. l’ADEME (Agence de la transition écologique), met également à l’honneur ses différents atouts :
- le bois énergie est une ressource abondante et locale, « son taux de prélèvement ne représentant actuellement qu’environ la moitié de l’accroissement naturel de la forêt en France. »
- il « participe à la réduction des émissions de CO2 », contrairement aux énergies fossiles ;
- il « implique les acteurs locaux et participe à l’impulsion d’une dynamique territoriale » (sans être sujet aux conflits internationaux comme le sont le pétrole et le gaz)
- il est « créateur d’emploi », comme le confirme là aussi l’ONF : « la filière française du bois de chauffage [génère] plus de 14 000 emplois directs et indirects ».
Le peuplier, en particulier, présente de sérieux avantages. Les industriels y ont notamment recours pour des fabrications de contreplaqués, dont il faut noter que le marché est en « hausse durable », renseigne Fransylva. Les emballages légers en bois (cagettes, boîtes à fromages, bourriches…) sont aussi faits à partir du peuplier, qui, « blanc et souple, [est] facile à travailler et donc économe en énergie. » Cette essence, poursuit Fransylva, peut même être utilisée dans le secteur de la construction, vu les améliorations continues de ses qualités mécaniques.
Une demande en peupliers en hausse
L’interprofession nationale du secteur, France Bois Forêt, dans sa revue La lettre B, abonde dans ce sens : les qualités intrinsèques du peuplier « autorisent une fabrication plus sobre en énergie que celle des emballages équivalents en carton ou en plastique. » Avantageux d’un point de vue économique aussi bien qu’environnemental, le peuplier va-t-il se substituer à d’autres matériaux, bien plus énergivores et coûteux à fabriquer ? C’est ce que l’on espère du côté de la filière, qui indique : « L’usage de cette essence ne s’arrête d’ailleurs pas à l’emballage léger, mais s’étend à la palette, aux emballages industriels, aux sciages aux destinations diverses (literie, mobilier, bardage…) […] ».
Reste à savoir si la France compte suffisamment de peupliers pour subvenir à tous ces besoins. L’Hexagone est le premier producteur européen de cette essence, et le deuxième mondial après la Chine – sa filière représente 20 000 emplois. Si les peupleraies plantées ne représentent aujourd’hui que moins de 2 % de la surface forestière tricolore (soit environ 200 000 hectares), c’est en partie dû à la crise sanitaire de la rouille, à la fin des années 1990, ainsi qu’à des conditions de marché peu favorables jusqu’à récemment, couplées à des réglementations environnementales de plus en plus restrictives et une image négative de la forêt plantée.
Le rythme des replantations de peupliers est ainsi passé de 2,3 millions de peupliers plantés par an, au début des années 1990, à 530 000 plants par an en 2014. Un rythme « très insuffisant », pointe du doigt le Conseil National du Peuplier, qui ne permet pas, en tout cas, d’assurer l’approvisionnement futur des industries de transformation. « Malgré une offre de bois qui reste encore supérieure à la demande, les premiers signes de tensions sur les approvisionnements dans certains bassins se font déjà sentir », s’alarme-t-il aussi, tandis qu’à la suite d’investissements récents, « la demande en peuplier des industries françaises du contreplaqué augmente, et cette hausse devrait se poursuivre dans les prochaines années. »
Comment, dès lors, répondre à cette demande croissante ? Tout d’abord, en mettant en production toutes les peupleraies de l’Hexagone. Car, aujourd’hui, 140 000 propriétaires exploitent 200 000 hectares de peupleraies, sauf que de nombreuses communes abritent des plantations dont l’existence et la gestion sont mal connues. « L’analyse du cadastre fait apparaître que ces peupleraies publiques concerneraient 7 000 communes et s’étendent sur environ 30 000 hectares », fait savoir Emmanuel Naudin, chargé de mission pour le Conseil National du Peuplier. D’après une enquête menée par le CNP, toutefois, la surface de peupleraies communales pourrait augmenter de 15 000 à 22 000 hectares dans les prochaines années. Une bonne nouvelle pour l’industrie et la lutte contre le dérèglement climatique.