Alors que le Parlement européen entend sortir des énergies renouvelables une partie de la biomasse forestière dans le cadre de la révision de la directive RED III, Roland de Lary, Directeur Général du Centre National de la Propriété Forestière (CNPF) revient sur la place du bois-énergie en France, les règles qui le régissent, son utilisation croissante depuis la crise énergétique, et son rôle dans la décarbonation française. « Il ne faut pas confondre une coupe avec une déforestation et confondre la forêt française avec la forêt tropicale » rappelle-t-il.
Le bois-énergie est l’énergie renouvelable la plus importante en France (32,9% de la consommation). Quel est le potentiel du bois-énergie pour la transition énergétique ?
La réserve de bois sur pied en France est estimée entre 80 et 90 millions de m3, or nous n’en exploitons que 50% environ, tous usages confondus. Connaître le véritable potentiel en bois-énergie est cependant compliqué, il relève à la fois de la proportion stricte de petits bois ou bois mort suite à des dépérissements exploitables, de la destinée des bois d’œuvre dont la transformation génèrera du bois énergie, du recyclage en bois-énergie des matériaux et objets en bois et pour la transition énergétique du pouvoir calorifique de chaque unité de matière. Ce qui est certain, c’est la capacité non négligeable de nos forêts à produire du bois-énergie, même si on les destine à être gérées pour le bois d’œuvre. Ainsi, produire 1 m3 de bois d’œuvre (poutres, planches…) c’est en moyenne générer 1 m3 de bois-énergie (sciure, plaquettes…). La France a cependant raison de miser sur un mix énergétique.
« Pour le forestier, dédier des peuplements mûrs, qui plus est de qualité, au seul bois-énergie est une aberration »
Le recours au bois-énergie est décrié par certaines associations de protection de l’environnement qui soulignent un risque de déforestation. Pensez-vous que le bois-énergie présente un danger pour les forêts françaises ?
La notion de bois-énergie regroupe plusieurs catégories de produits qu’il ne faut pas confondre. Nous défendons au CNPF la notion de bois énergie comme sous-produit de l’exploitation des forêts pour le bois d’œuvre. En effet, la gestion forestière, si elle se veut vertueuse en termes de bénéfice pour la diminution des effets du changement climatique, doit prôner une sylviculture à des fins de bois d’œuvre (permettant un stockage de carbone maximal). Or, générer du bois d’œuvre consiste à laisser pousser les arbres pour atteindre des diamètres compatibles avec les besoins de la construction bois. La découpe de l’arbre au moment de sa récolte offre alors une bille de pied et des sur billes qui iront selon les cas au sciage, voire au déroulage, mais en deçà d’un certain diamètre, la destination du bois pourra être la trituration (papier, cartons) et/ou l’énergie. Pour le forestier, dédier des peuplements mûrs, qui plus est de qualité, au seul bois-énergie est une aberration. Évoquons aussi les coupes d’éclaircie qu’il aura fallu faire tout au long de la vie d’un peuplement pour favoriser la croissance des plus beaux arbres, ceux que l’on destine à la coupe finale. Ces coupes fournissent des petits bois dans les premiers temps, dont la destinée peut être le bois-énergie ; ce sont également des sous-produits de la sylviculture.
Pour autant, certains taillis dépérissants, de châtaigniers par exemple, certaines futaies victimes d’attaques parasitaires, d’épicéas par exemple ou victimes d’incendie, de pins maritimes notamment, peuvent parfois être exploités dans leur ensemble en bois-énergie. Il s’agit alors d’un produit « fatal ».
Dans ces conditions il n’y a pas de danger pour la forêt française et qui d’ailleurs irait mettre au feu sous forme de bûche, de plaquette ou de granulé un magnifique fût de chêne ou de hêtre ? S’il existe des dérives dans ce sens, les forestiers ne les cautionnent pas.
Rappelons-nous la surexploitation qui a ponctionné la forêt française jusqu’au milieu de XIXè siècle. Elle était due aux énormes besoins de bois-énergie : bois de feu pour le chauffage et charbon de bois pour les industries (métallurgie, briqueteries…). Le forestier était en lutte permanente contre les maîtres de forges. La forêt a été sauvée par la découverte d’autres sources d’énergie, charbon « de terre » puis pétrole et on a alors pu progressivement doubler sa surface de l’époque. Depuis, le Code forestier, les aménagements et les plans de gestion et la notion de sylviculture durable protègent les forêts. Il n’est pas question de revenir en arrière. Il ne faut donc pas confondre une coupe avec une déforestation et confondre la forêt française avec la forêt tropicale : toute coupe en France est soumise à une obligation de reboisement dans les 5 ans.
« Le principal n’est pas d’émettre du CO2, qui n’est pas un polluant comme on l’entend souvent mais la source de toute vie via la photosynthèse, le principal est d’en absorber plus qu’on en émet pour éviter ses effets secondaires (augmentation de l’effet de serre) »
La combustion du bois émet du CO2. Pourquoi le bois-énergie est tout de même considéré comme une énergie renouvelable ?
L’énergie est dite renouvelable lorsqu’elle provient d’une source naturelle a priori inépuisable (le soleil, l’eau, le vent, la chaleur de la terre…) ou d’une source qui peut se reconstituer à l’échelle humaine (le bois, la biomasse en général). Cela la différencie des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) dont les réserves sont finies et s’épuisent.
Le fait d’émettre du CO2 n’est pas un critère de distinction des énergies puisque toutes sous différentes formes sont émettrices : il faut construire des panneaux solaires à grand frais de terres rares, il faut construire des barrages en béton, il faut élever des éoliennes en métal. Tout ceci émet du CO2. Et la combustion du bois elle-même n’échappe pas à cette règle effectivement. Par contre, si l’on revient à la question précédente, générer ce bois-énergie comme sous-produit d’une production de bois d’œuvre aura permis de stocker du carbone dans le produit principal et de substituer des matériaux énergivores par le bois d’œuvre. C’est ainsi un bilan global qu’il faut envisager avant de réduire toute une chaîne de façon simpliste au fait que le bois-énergie émet du CO2.
Le principal n’est pas d’émettre du CO2, qui n’est pas un polluant comme on l’entend souvent mais la source de toute vie via la photosynthèse, le principal est d’en absorber plus qu’on en émet pour éviter ses effets secondaires (augmentation de l’effet de serre). A l’échelle d’une coupe dont les produits seraient brûlés, on peut considérer qu’il y a une émission nette de carbone qui sera refixé par le nouveau boisement dans quelques décennies, on appelle ça la « dette carbone ». A l’échelle d’un massif au contraire, les parcelles ayant des âges différents et échelonnés, chaque prélèvement (et éventuelle émission de CO2) est compensé par la croissance de toutes les autres parcelles, c’est inclus dans le principe de gestion durable. Là encore, il faut voir global…
On peut ajouter qu’à terme, dans les forêts primaires où l’homme n’intervient pas, tout le carbone fixé est par définition rendu à la nature par la décomposition du bois mort, accéléré par les aléas naturels (tempêtes, incendies, attaques d’insectes…). Si ces forêts représentent un stock de carbone sur pied qu’il ne faut pas détruire, ce stock ne peut croître indéfiniment et le flux net est nul.
« Le bois est un des rares matériaux où rien ne se perd »
Face à la crise énergétique, de nombreux consommateurs se sont tournés vers le bois-énergie. Quel impact cela a eu pour la filière ?
L’engouement pour le bois-énergie est à mettre en rapport avec les aides accordées au développement du chauffage bois voire de la cogénération à base de bois. Les impacts ont été de deux ordres. Le développement du granulé bois a été une aubaine pour certaines scieries qui ont mieux valorisé leurs produits connexes. 1 m3 de bois d’œuvre qui entre en scierie ne produit en effet que 0.55 m3 de produits de première transformation qui eux-mêmes généreront 0.3 m3 de produits finis. A toutes les étapes de la transformation, des écorces, des sciures, des déchets, c’est-à-dire des « connexes » sont extraits et peuvent entrer dans la fabrication de granulés ou de plaquettes.
Le bois est un des rares matériaux où rien ne se perd. Même en cas de combustion, on envisage aujourd’hui de renvoyer les cendres, riches en éléments minéraux, en forêt. C’est ce qu’on appelle une « économie circulaire » (presque) parfaite. En parallèle la valorisation des arbres sur pied s’est vue améliorée puisque connaissant les débouchés potentiels des différentes parties de l’arbre et des co-produits induits par leur transformation, le propriétaire, public ou privé, a pu optimiser un retour sur ses investissements. Les limites de l’exercice ont été vite mises en évidence et contrecarrées. Il peut s’agir de l’exploitation irraisonnée des souches retirant du terrain un potentiel de matière organique et bouleversant les sols. Ces pratiques, qui peuvent encore exister sur sols sableux, ne concernent qu’une partie très limitée du territoire et ne se développeront pas du fait d’un rapport coût/bénéfice réduit.
On peut parler aussi de l’exploitation d’arbres entiers (jusqu’aux fines branches) qui peuvent représenter un gain de temps pour l’exploitant de bois-énergie qui réduit les houppiers en copeaux. De nombreuses études ont été faites montrant que la plus grande partie des éléments minéraux puisés dans le sol par l’arbre se retrouvent dans ces produits de très petit diamètre appelés « rémanents » et qu’il faut les rendre au sol sous peine de l’appauvrir.
On peut citer enfin l’exploitation un peu rapide de taillis en partie seulement dépérissants alors qu’ils pouvaient être balivés (sélection de tiges de qualité) et enrichis par plantations complémentaires.
Ces pratiques qui ont eu cours en particulier dans les années 1970-80 après le second choc pétrolier qui avait temporairement boosté les cours du bois ont montré leurs limites et sont aujourd’hui combattues par les conseillers forestiers. Ceux-ci sont susceptibles de faire un bon diagnostic préalable des peuplements afin de guider le propriétaire en lui évitant des erreurs dont il ne pourrait se rendre compte qu’à terme, tant la gestion forestière doit se concevoir sur le temps long.
La raison qui est la force du forestier l’a emporté dans la plupart des cas afin de retourner vers des méthodes plus respectueuses de la pérennité des massifs.
« La position du parlement va à l’encontre d’une gestion équilibrée de la forêt et peut avoir des conséquences localement dramatiques en limitant même le simple entretien de parcelles (…) qui seront alors soumises au risque incendie (source lui-même de relargage de carbone) »
Le Parlement européen souhaite exclure une partie du bois-énergie de la catégorie des énergies renouvelables. Selon vous, quelles seront les conséquences de cette décision ?
Cette décision est extrêmement grave car elle remet en cause tout le développement précédent. Nous pensons au CNPF qu’il y a une confusion entre du bois-énergie issu d’une sylviculture raisonnable c’est-à-dire durable et productrice de bois d’œuvre et du bois d’énergie issu de peuplements dédiés tels les taillis à courte ou très courte révolution. Ces derniers sont très rares en France et n’ont pas encore fait la preuve de leur rentabilité. Les derniers travaux de la recherche ont montré leur inefficacité (manque de rentabilité, appauvrissement des sols…).
La position du parlement va à l’encontre d’une gestion équilibrée de la forêt et peut avoir des conséquences localement dramatiques en limitant même le simple entretien de parcelles (impossibilité de faire les premières éclaircies, uniquement valorisables en bois-énergie dans les feuillus) qui seront alors soumises au risque incendie (source lui-même de relargage de carbone).
Le cadre légal qui régit les coupes de bois en France est très strict. Les prélèvements en forêt sont très inférieurs à l’accroissement biologique et la surface de forêt augmente continuellement comme le volume de bois sur pied.
Renoncer au bois-énergie est-ce donc vouloir encore plus d’énergie fossile dont on connaît à la fois les réserves limitées et les difficultés d’extraction comme de traitement et d’acheminement ? Ce serait remettre en cause le pouvoir d’achat des ménages comme la compétitivité des entreprises. On le constate de façon éclatante aujourd’hui avec la crise énergétique liée à la volatilité des énergies fossiles d’origine étrangère comme le gaz et le pétrole, soumises à des fluctuations extrêmement rapides et des soubresauts politiques que nous ne maîtrisons pas. Le bois est au contraire une ressource nationale et renouvelable qu’il faut seulement gérer convenablement. Pourquoi s’en priver ?
Quant à la filière elle-même du bois-énergie qui représente plus de 50 000 emplois souvent non délocalisables c’est un acteur majeur de l’économie avec plus d’1.3 milliard d’euros de valeur ajoutée.
On comprend alors que la remise en cause de la qualification du bois-énergie aura des répercussions colossales. Le bois-énergie étant un levier essentiel pour l’atteinte des objectifs de la stratégie nationale bas carbone, il serait contradictoire de vouloir nier l’intérêt de sa qualification comme biomasse renouvelable.