Les incendies de cet été sont une illustration des effets du changement climatique sur les forêts françaises. Quelles solutions concrètes pour protéger les forêts ?
Avant d’envisager des solutions, il faut d’abord analyser les causes de ces incendies. Comme dans toutes les catastrophes, il y a des facteurs prédisposants, déclenchants et aggravants. Les facteurs prédisposants sont à la fois l’ensemble des surfaces forestières sensibles (trop homogènes et/ou non entretenues) et l’interface forêt-urbanisation qui ne cesse d’augmenter. C’est notamment le cas en Gironde, qui a été très touchée cette année. À moyens constants, les pompiers sont donc obligés de protéger les personnes puis les habitations et de délaisser la forêt. Le facteur déclenchant est quasi unique et bien connu : c’est l’homme. La forêt, qu’elle soit sensible ou pas (et les résineux, contrairement à ce qu’on entend souvent, ne sont pas plus combustibles que les feuillus), ne brûle pas toute seule. Plus de 90 % des feux sont d’origine humaine, accidentelle ou volontaire. Enfin, les facteurs aggravants sont surtout climatiques : des vents violents et des sécheresses hors norme comme celle qu’on a connue cette année. La sécheresse, de l’air comme du sol, génère une masse combustible très importante qui ne peut que rendre les feux vite incontrôlables. Pour un même nombre de départs de feux, les surfaces brûlées ont donc explosé. Et comme attendu, les régions hors zone méditerranéenne commencent à être touchées : Bretagne, Massif central, Bourgogne-Franche–Comté et surtout Nouvelle-Aquitaine. Dans cette région, l’organisation exemplaire de défense contre l’incendie (DFCI) qui la protégeait depuis 70 ans a été cette fois débordée.
Les solutions concrètes doivent donc prendre en compte ces facteurs risques. Les forestiers ne peuvent guère agir sur le vent ou les sécheresses qui vont augmenter en fréquence et en intensité du fait du changement climatique. Ils peuvent contribuer à ralentir les effets du changement climatique par le stockage carbone de la forêt pour limiter l’effet de serre. Mais cela prend du temps et les solutions pour limiter le risque incendie doivent être immédiates. C’est pourquoi les forestiers protestent contre la faible efficacité des obligations légales de débroussaillement (OLD) car le taux de réalisation ne dépasse pas 20 %. Ils militent par ailleurs avec constance sur le terrain pour l’information des citoyens sur les dangers des gestes imprudents en forêt.
Mais le créneau principal des forestiers reste le renforcement des mesures de sylviculture préventive pour diminuer la sensibilité des peuplements. Le principe est simple même si la réalisation est compliquée : il faut ménager des « coupures de combustible » horizontales et verticales pour ralentir, sinon arrêter le feu. Horizontales pour que le feu ne passe pas d’une zone boisée à une autre : c’est le principe des pare-feu entretenus qui permettent en outre l’accès des pompiers. Verticales en débroussaillant la végétation basse et en élaguant les branches sèches afin d’éviter qu’un feu courant, souvent peu dommageable aux arbres, se transforme en feu de cime non maîtrisable. Si cette sylviculture coûte beaucoup moins cher qu’une flotte de canadairs, il n’en reste pas moins qu’elle doit être financée.
Quel rôle accorder aux plantations dans la reconstitution des écosystèmes touchés par les incendies ?
En général, après des feux intenses comme ceux qu’on a connus cet été, la végétation renaît en général d’elle-même, mais cela prend souvent des années, voire des décennies et on passe par une étape de friches ou de maquis, avec des espèces arbustives elles-mêmes très inflammables. Des essences comme le chêne liège rejettent des souches, d’autres comme les pins d’Alep dans le Sud-Est ou le pin maritime dans le Sud-Ouest se régénèrent par ouverture des cônes et libération des graines après le passage du feu. Mais si l’on veut réduire la phase critique où le peuplement est le plus sensible (de 0 à 10 m de haut) il vaut mieux planter des essences à croissance rapide.
C’est l’option des Aquitains qui ont développé avec le pin maritime -seule essence qui supporte les sols extrêmement pauvres du massif landais- une sylviculture dynamique qui permet de mettre les cimes des arbres à distance de la végétation inflammable au sol en une quinzaine d’années. Dans le Sud-Ouest, l’option plantation sera donc retenue en priorité. Le problème est plus délicat dans le Sud-Est où les conditions topographiques ne favorisent pas les plantations. On s’en remet alors en général à la régénération naturelle mais la croissance lente des espèces ne leur permet souvent pas d’être à l’abri avant le retour du feu.
« Le bois énergie n’est absolument pas une menace pour la forêt française (…) »
Cet hiver, de nombreux Français ont fait le choix du bois énergie pour se chauffer. Est-ce une menace pour le développement des forêts françaises ?
Le bois énergie n’est absolument pas une menace pour la forêt française dans la mesure où les principes de gestion durable sont appliqués dans la majorité des cas. Un des principes est la hiérarchie des trois vies du bois : les arbres coupés sont utilisés d’abord en bois d’œuvre lorsque la qualité le permet (menuiserie, charpente…) puis en bois d’industrie (panneaux, pâte à papier) et enfin en bois énergie (bois bûche, plaquettes, granulés). Le bois énergie qui arrive en toute dernière place, permet de valoriser les déchets des autres utilisations (branches, copeaux, sciures…) qui représentent tout de même 1 m3 pour chaque m3 de bois transformé en sciage.
Le bois énergie doit par ailleurs permettre de recycler les produits en fin de vie du BTP qui représentent un gisement énorme largement sous-valorisé. Le bois énergie utilise aussi les « petits bois » et est indispensable pour financer les opérations d’amélioration de la forêt comme les premières éclaircies. C’est une aberration pour le forestier de voir partir en plaquettes des grumes de qualité suffisante pour faire du sciage.
« On ne coupe en France que la moitié environ de la production annuelle »
La France a mis en place une gestion durable de ses forêts qui contribue à freiner la déforestation importée. Pourtant, de nombreuses critiques portent sur la coupe de bois en France, et le recours aux coupes rases. Coupe-t-on trop de bois en France ?
On ne coupe en France que la moitié environ de la production annuelle. L’autre moitié reste sur pied et s’ajoute au stock existant qui ne cesse d’augmenter, de 44 millions de m3/an selon l’IGN sur la dernière décennie. La surface forestière, elle, augmente annuellement de 90 000 ha (soit 9 fois la superficie de Paris). Il ne faut cependant pas se cacher derrière des moyennes et, localement, des coupes importantes provoquent les protestations du public. Il s’agit souvent de résineux gérés en futaie régulière qui ont été installés dans les années 1960-80 sur des terres pauvres libérées par la déprise agricole. C’est le cas dans des régions déshéritées du Massif central notamment (Limousin, Morvan). Les associations environnementalistes ont protesté à l’époque contre les enrésinements massifs qui encerclaient les villages. Leurs successeurs protestent aujourd’hui contre les coupes rases de ces mêmes peuplements qui libèrent l’espace.
Mais il faut aussi reconnaître que certains boisements ont pu se faire de façon brutale, sans grande concertation avec les quelques riverains qui tentaient de résister tant bien que mal aux mutations de l’espace agricole. Les coupes rases sont également brutales et choquent parfois. Elles constituent une étape d’une sylviculture dite régulière qui renouvelle en une fois les peuplements à maturité. On n’a souvent guère le choix lorsqu’on a planté sur un terrain initialement déboisé et que tous les arbres ont le même âge. Si l’on veut passer à d’autres méthodes comme la futaie irrégulière, tendance qui progresse, il faut savoir que c’est très long (plusieurs décennies) et très délicat. Il faut lutter contre la nature qui a tendance à régulariser et connaître parfaitement le comportement de chaque essence notamment vis-à-vis du dosage de la lumière qui est la clé de cette transformation. Il faut se méfier des donneurs de leçons qui font croire que tout coule de source en forêt et qu’il suffit de laisser pousser.
Toujours est-il qu’il ne faut pas confondre coupe rase et déforestation : chaque coupe est soumise en France par le Code forestier à une obligation de reboisement dans les 5 ans. Le défrichement définitif des forêts tropicales pour installer des cultures d’exportation est d’une tout autre nature. On doit cependant accorder une attention particulière à l’exploitation mécanisée qui doit absolument préserver le sol. Il faut aussi mieux prendre en compte les aspects paysagers qui doivent être intégrés dans le cadre d’une forêt mosaïque qui peut aussi être riche en biodiversité. Par ailleurs, on expérimente aujourd’hui de plus en plus des méthodes de renouvellement douces avec mélanges d’essences et maintien d’un certain couvert. Là encore les difficultés sont légion et cela demande beaucoup d’investissements que le revenu généré par le bois peine à assurer.
Le mois dernier, France Télévision a consacré un programme spécial aux forêts intitulé « Aux arbres citoyens », dont le but était de sensibiliser le grand public. Les forestiers privés ont dénoncé l’absence de représentation de la filière. Quel est votre regard sur ce sujet ?
Effectivement cette émission conçue pour être très médiatique a parfaitement atteint son but : faire comprendre au citoyen l’importance de l’arbre et de la forêt. Tous les ressorts ont été activés : des scientifiques de renom pour le côté sérieux, des chanteurs, cinéastes et acteurs pour attirer le grand public, des militants charismatiques que tout le monde aime bien, un original mi-homme mi-chevreuil et un autre qui s’attache en haut des arbres pour protester contre leur coupe, des pompiers en nombre qui ne peuvent qu’être félicités, un représentant de l’ONF très compétent montrant l’intérêt de la biodiversité en forêt, ce qui ne peut qu’être consensuel, des jeunes activistes en mission pour mettre un peu d’animation et pousser avec irrévérence un ministre dans ses retranchements et d’inévitables reportages sur la déforestation (en Amazonie) pour bien montrer que les forêts françaises sont en danger.
Mais vous avez raison, la forêt privée, 75 % des forêts françaises (le ministre l’a opportunément rappelé), était absente, malgré une requête très mesurée et argumentée, à la présidente de France Télévision, du président de l’interprofession France Bois Forêt. Il aurait pourtant pu y représenter les 3,5 millions de propriétaires et les 400 000 emplois de la filière, avec toutes les difficultés qu’ils rencontrent au quotidien. Il aurait pu expliquer que la gestion forestière n’est pas aussi simple que ce qu’on veut bien le dire, que tout repose sur la vente de bois et que les citoyens qui exigent une sylviculture à leur goût la veulent gratuitement. Que les gentils chevreuils ont vu leur population multipliée par 10 en 50 ans, tout comme celle des cerfs et des sangliers, et que ces animaux ravagent les régénérations dans beaucoup de régions. Que pour pouvoir célébrer le bois, matériau écologique par excellence, il faut couper des arbres ; que si l’on utilise des machines d’exploitation forestière, c’est qu’on ne trouve plus de bûcherons, métier le plus pénible et dangereux qui soit ; que la ressource française en bois, importante et qui plus est renouvelable, est sous-exploitée et qu’on doit importer une planche sur trois avec l’empreinte carbone que cela implique ; qu’on peut être forestier privé, aimer la forêt, la préserver et la gérer durablement…
« Ce téléforêton a donc eu le mérite de montrer qu’une gestion même minimaliste coûte de l’argent »
L’émission appelait aux dons des citoyens pour « sauver » les forêts, selon vous, que peuvent faire les citoyens pour prêter main-forte aux forestiers ?
En fait l’émission a été une grande réussite puisque les 20 projets forestiers (ou agroforestiers) proposés par l’association FNE, une association sérieuse avec qui les forestiers travaillent, ont été financés. Ce téléforêton a donc eu le mérite de montrer qu’une gestion même minimaliste coûte de l’argent.
Cependant, a-t-elle reflété la réalité de la gestion forestière française ? On peut en douter. Tous les intervenants ont réclamé, à juste raison, une augmentation des effectifs de l’Office National des Forêts qui gère la forêt publique, soit 25 % des forêts françaises. On a ainsi demandé de faire passer les effectifs de 8 000 à 13 000 personnes. Malheureusement, il a été omis de demander la même chose pour le CNPF (Centre national de la propriété forestière) organisme équivalent qui dispose de 350 personnes (en baisse régulière) pour aider à la gestion des 75 % restants des forêts françaises…
Il est très médiatique de financer des projets forestiers. Beaucoup de start-ups se sont lancées sur ce créneau à la mode pour drainer des financements de sociétés voulant reverdir leur image ou de citoyens persuadés de sauver la planète. Tous croient qu’on ne fait rien en forêt sinon couper. Mais on oublie que parallèlement l’État lui-même a lancé un grand plan de reboisement dans le cadre de France relance puis France 2030. Par ailleurs, plusieurs fondations appuyées par les sylviculteurs ou qui travaillent dans le cadre officiel du Label Bas Carbone existent déjà. FNE, qui mène des actions estimables dans son domaine, n’est pas le premier boiseur de France comme cela a été suggéré.
Les généreux donateurs auront la satisfaction d’avoir fait une bonne action à l’instant T, mais savent-ils que les forêts françaises se gèrent sur le long terme ? Auront-ils la garantie que leurs arbres seront encore là dans 30 ou 50 ans (et d’ailleurs s’en préoccupent-ils ?) ? Ne vaut-il pas mieux de miser sur les organismes qui sont en permanence sur le terrain avec des moyens dérisoires et dont le métier quotidien est de conseiller le propriétaire forestier et de l’accompagner dans sa gestion pour la rendre plus efficace, plus respectueuse de la biodiversité et des sols et plus résistante aux adversités ? Et ceci, bien sûr, pour le bénéfice de tous.
Le propriétaire a aujourd’hui un problème majeur : la sauvegarde de sa forêt face au changement climatique. Celui-ci aggrave les sécheresses estivales et les catastrophes qui les suivent, attaques d’insectes ou incendies. Pour ne parler que des évènements récents, on a vu disparaître 60 000 ha dans l’Est, ravagés par les scolytes (coléoptères voraces) après les sécheresses de 2018-2020 et encore 70 000 autres, surtout dans le Sud-Ouest, suite aux incendies de 2022. Aucune région n’est aujourd’hui épargnée. De très nombreux sylviculteurs ont perdu en une fois les décennies d’efforts et d’investissements de leurs parents et grands-parents, sans prime d’assurance la plupart du temps.
Les vraies questions sont là. Les forestiers sont dans une période de réorientation profonde de leur gestion dans un contexte d’incertitude inédit jusqu’ici. Ils ont besoin de reconnaissance (qui sait que ¾ des forêts françaises est privée ?) et de la solidarité des citoyens dans cette phase critique. Ils peuvent regarder d’un œil bienveillant des opérations cosmétiques comme « l’achat d’une forêt pour la soustraire à l’industrialisation » (un des projets de l’émission) qui peuvent donner bonne conscience aux donateurs mais cela ne résoudra malheureusement pas leurs problèmes de fond. Une action exemplaire est pourtant en cours en forêt de Chantilly. Dans ce site emblématique, propriété de l’Institut de France, la moitié des chênes sont morts ou dépérissants suite aux sécheresses. Ce drame a provoqué un élan participatif où tous, forestiers, politiques, associations, citoyens, se sont mobilisés pour aider les scientifiques à comprendre et chercher des solutions au problème. Exemple trop rare inscrit dans le long terme qui change des oppositions stériles ou bien des coups médiatiques qui sont malheureusement notre quotidien.