Dans l’imaginaire collectif, la forêt est un lieu calme et apaisant qui appelle à la sérénité, voire à la méditation. Une vision que ne partagent sans doute pas les travailleurs forestiers, victimes presque quotidiennement de violences verbales et physiques.
Dans une tribune à l’Obs, dix-huit représentants de la filière forêt-bois partagent leur inquiétude face à ces agressions et en donnent quelques exemples. « Le 17 mars 2022, un incendie criminel a ravagé un engin forestier appartenant à une coopérative forestière à Brassy, une commune de la Nièvre. Quelques jours auparavant, les forestiers de cette même coopérative étaient la cible de menaces de mort, qui ont fait l’objet d’une plainte auprès de la gendarmerie », se désolent les signataires du texte. Un cas isolé ? Malheureusement, non.
Depuis fin 2018, dans les régions Bourgogne-Franche-Comté, Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle-Aquitaine, ce sont une vingtaine d’engins forestiers qui ont été incendiés ou sabotés. Auxquels s’ajoutent des saccages et arrachages de plants, mais aussi de nombreux actes de malveillances visant les travailleurs forestiers eux-mêmes.
Public/privé, tous visés
Afin de mesurer l’ampleur exacte du phénomène à l’échelle de l’Ile-de-France, l’Office national des forêts (ONF) a lancé une enquête interne auprès de ses 230 agents forestiers franciliens. Au total, 88% des répondants déclarent avoir déjà été témoins ou victimes d’une altercation. Plus dans le détail, 45% des répondants auraient subi des reproches verbaux, 22% des insultes orales ou écrites, 19% auraient été témoins de dégradations et 10% physiquement pris à partie.
Les forestiers subissent « quotidiennement des violences » de la part de « promeneurs, riverains ou associations (qui) réagissent parfois violemment » ; « Il n’est malheureusement pas rare qu’ils subissent critiques, insultes violentes, voire agressions physiques », regrette l’Office public interrogé par France Bleu.
Les travailleurs forestiers indépendants et les coopératives forestières qui gèrent les forêts privées ne sont pas non plus épargnés. Le sénateur de Corrèze, Daniel Chasseing, avait déjà alerté le ministère de l’Agriculture dans un document publié au Journal officiel le 5 décembre 2019 : « Un certain nombre d’activistes, en effet, parce qu’ils refusent les éclaircies nécessaires à la gestion du bois, commencent – c’est une nouveauté ! – à s’en prendre moralement et physiquement aux employés des coopératives forestières (débardeurs comme transporteurs), ainsi qu’à leurs matériels » Le sénateur demandait alors au ministère de l’Agriculture de prendre des mesures concrètes. Ces attaques, notamment celles visant à endommager voire détruire les matériels des forestiers, ont un impact conséquent sur les petites entreprises dont l’activité peut être suspendue plusieurs jours.
L’administration avait répondu trois mois plus tard et s’était dite préoccupée par ce phénomène, qui « entrave l’activité professionnelle d’un secteur indispensable à l’entretien, la gestion, la valorisation et la pérennisation de notre potentiel forestier national ».
Condamnant évidemment les agressions, le ministère de l’Agriculture avait rappelé que la protection des forestiers incombait à la gendarmerie. Il avait également encouragé les acteurs du secteur à « mieux communiquer sur leurs métiers, l’utilité de la gestion forestière pour préserver la multifonctionnalité des forêts et l’importance des matériaux bois dans les objectifs nationaux climatiques ».
Points de vue irréconciliables ?
Autant de thèmes que la filière s’attache à faire connaître à la société civile et ce, à grand renfort de communications, d’informations et d’événements publics tels que le SIA et autres foires et salons. Si ces actions ont sans doute atteint leur cible, les agressions ne cessent pas pour autant.
Des actes malveillants qui traduisent « une conception radicale de la place de l’humain dans les espaces forestiers », peut-on lire dans l’Obs. Cette vision va à l’encontre du rôle multifonctionnel de la forêt, inscrit dans le Code forestier, font valoir les représentants de la filière. Et les cosignataires de rappeler que, oui, la forêt remplit des rôles sociétaux et écologiques indispensables, mais qu’elle est également une ressource qui doit être gérée et exploitée de manière responsable. La récolte et la transformation du bois en matériau et en énergie renouvelable sont « essentielles à la transition énergétique », rappellent-ils. Une récolte qui n’empêche pas le développement de la forêt française, dont la surface croît chaque année.
Un aveu d’échec ? Sûrement pas de l’avis des cosignataires pour qui ces agressions sont le signe que « le travail de sensibilisation mené par les forestiers (propriétaires, gestionnaires, coopératives, bûcherons, exploitants…) auprès du grand public, pour expliquer leur rôle et le principe d’une gestion forestière durable, est plus que jamais nécessaire et doit être poursuivi ». Les professionnels du secteur se disent prêts à la controverse ainsi qu’à la poursuite du débat d’idées, tout en dénonçant « haut et fort ces attaques » et en exigeant la mise en place de mesures afin d’assurer la sécurité des forestiers.