Alors que la décarbonation de l’industrie est identifiée comme un levier clé pour atteindre les objectifs climatiques que la France s’est fixés, passage en revue de ce que recouvre concrètement cette notion.
Dans le Journal Officiel en date de septembre 2019, la « décarbonation » est définie comme l’« ensemble des mesures et des techniques permettant de réduire les émissions de dioxyde de carbone ». A quand l’apparition de cette notion remonte-t-elle ?
Si « la prise de conscience et les actions liées à une baisse de consommation énergétique est ancienne, (…) la notion de décarbonation, c’est-à-dire de diminution des émissions de CO2 ne date que de quelques années, lorsque le sujet de la transition énergétique est devenu un thème politique et de société. » explique Nelly Recrosio, Directrice Grands Comptes chez EDF.
L’industrie joue un rôle déterminant dans les objectifs de réduction des émissions de CO2.. Dans sa Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) la France vise la neutralité carbone à l’horizon 2050. L’industrie, qui représente 20 % des émissions, est appelée à les réduire de 37 % d’ici 2030 et 81 % d’ici 2050, soit un passage de 84 à 16 MTCO2e en 30 ans.
Un objectif ambitieux, soutenu à la fois par des enjeux écologiques et économiques. « La décarbonation est l’un des grands défis que doivent relever les entreprises pour réduire leur empreinte sur le réchauffement climatique, reconnaît Eric Sénéchal, ingénieur au Centre d’expertise et de R&D de l’industrie mécanique. Mais au-delà des enjeux sociétaux et réglementaires, il y a aussi une question économique : l’efficacité énergétique est un sujet majeur, en particulier dans le contexte actuel d’explosion des prix. »
Industrie : qui émet quoi ?
Si le terme de « décarbonation » fait directement référence aux émissions de CO2, ce dernier n’est pas le seul gaz à effet de serre (GES) émis par l’industrie. Dans une note intitulée “Décarboner l’industrie sans la saborder”, The Shift Project rappelle que les émissions industrielles se composent à 77 % de CO2, 20 % de HFCs et 3 % de N2O et autres. Au total, ces émissions proviennent d’une part des procédés industriels eux-mêmes (46%) et d’autre part de la combustion de carburants pour produire de l’énergie (54%).
Les émissions sont concentrées dans quelques branches industrielles. La chimie, la métallurgie et les matériaux de construction représentent 75 % des émissions. Ainsi, une quinzaine de sites industriels produit la moitié des gaz à effet de serre, parmi lesquels les usines métallurgiques de Fos-sur-Mer et Dunkerque, ou encore les raffineries de Normandie. Si la chimie a réduit ses émissions de 60MTCO2e depuis les années 1990, l’industrie dans son ensemble reste loin de la trajectoire requise par la SNBC. Le secteur manufacturier (automobile, cosmétique, alimentation, machines etc.), qui dicte la demande de l’industrie lourde, pèse quant à lui pour 25 % des émissions.
Comment décarboner ?
Pour décarboner, l’industrie doit donc jouer sur deux niveaux. D’abord, réduire les émissions en provenance des consommations d’énergie carbonée. Un défi de taille alors que le secteur de la chimie, par exemple, consomme de grandes quantités de gaz naturel et que la production de ciment s’appuie sur le recours aux hydrocarbures.
Le second niveau sur lequel il est possible d’agir concerne les émissions de procédés issues de réactions chimiques fortement émettrices, comme la transformation du gaz naturel en hydrogène puis en ammoniac.
Alors, par quoi commencer ? L’efficacité énergétique est un des leviers les plus intéressants à mettre en place en premier lieu, estime Eric Sénéchal, qui souligne qu’un audit énergétique aboutit souvent à une réduction de 5 à 15 % de la consommation, simplement en changeant des réglages ou des pratiques de maintenance, avec un effet très positif sur la compétitivité. Il existe aussi des solutions techniques, comme remplacer certains équipements pour des alternatives plus performantes et plus économes en énergie. Électrifier ses procédés peut aussi être intéressant pour réduire les émissions de CO2.
Décarboner, jusqu’où ?
Est-il possible que l’industrie n’émettent plus aucune émission de CO2 dans l’avenir ? « Certaines industries dont le process repose sur des produits ou des réactions chimiques intrinsèquement carbonés, ne seront jamais exemptes d’émissions de CO2. Dans ce cas, ce sont des stratégies de captage et d’utilisation du CO2 émis que nous commençons à étudier. » souligne Nelly Recrosio.
Pas d’émissions zéro donc, mais une réflexion vaste qui englobe aussi des enjeux d’écoconception et d’économie circulaire « qui constitueront bientôt de véritables avantages concurrentiels pour les industriels qui commencent à les intégrer dans leurs business models. » prédit Eric Sénéchal.
Les portes sont grandes ouvertes pour des solutions innovantes. Depuis 2020, l’entièreté de la baisse des émissions de GES de l’industrie française est dûe au progrès technique, estime la Direction générale du Trésor, avec des investissements permettant d’améliorer les procédés de fabrication et de neutraliser la pollution.