D’un incendie à l’autre. Obnubilés à juste titre par le brasier ukrainien, les regards médiatiques n’ont qu’à peine relevé les sorties, quasi-concomitantes, de deux rapports pourtant extrêmement alarmants sur l’évolution climatique de la planète : celui du GIEC, paru le 28 février et celui, non moins inquiétant, consacré par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) aux « incendies incontrôlés ». S’ils ne sont pas directement causés par le réchauffement climatique, la prévalence et l’aspect ravageur de ces « méga-feux » seront néanmoins favorisés par le dérèglement du climat – et ce, quels que soient les scénarios envisagés. « Même en mettant en place les efforts les plus ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, la planète subira une hausse dramatique de la fréquence des conditions favorisant les incendies extrêmes », mettent en effet en garde les experts du PNUE.
Ainsi, dans l’éventualité, de plus en plus improbable, où l’humanité parviendrait à limiter la hausse des températures globales à +2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, le nombre d’incendies catastrophiques augmentera quoi qu’il en soit de 9% à 14% d’ici à 2030, et même de 31% à 52% avant la fin du siècle. Autrement dit, les humains vont devoir, qu’ils le veulent ou non, composer avec ces incendies cataclysmiques. Mais qu’entend-on exactement par « méga-feux » ? En quoi ceux-ci se distinguent-ils des incendies « traditionnels » ? D’après les sénateurs français auteurs d’un rapport consacré, en 2019, à la lutte contre les feux de forêt, « la notion de méga-feux désigne (bien) un cas nouveau dans la typologie des feux de forêts, en raison de son émergence liée au changement climatique ».
Vers la multiplication des méga-feux en France
Plus précisément, poursuivent les parlementaires, « il est admis qu’on parle de méga-feu dès lors que la surface parcourue par les flammes ainsi que la vitesse de propagation atteignent des dimensions exceptionnelles – par exemple, au-dessus de 10 000 hectares pour la surface –, et que les dommages causés sont largement supérieurs à ceux des incendies »classiques » ». Au regard de cette définition, la France semble donc, pour l’heure et à la différence de ses voisins espagnols ou portugais, relativement épargnée par le phénomène : 95% des incendies recensés sur le territoire couvrent, en effet, une surface inférieure à 5 hectares. Pas de quoi pavoiser, cependant : l’incendie ayant, en août 2021, ravagé 7 000 hectares et plusieurs centaines de bâtiments près de Gonfaron, dans le Var, rappelle que la France n’est plus à l’abri des méga-feux.
« On peut en être certain : dans les prochaines années, nous aurons à affronter la réalité d’un méga-feu avec des morts et des blessés », alerte le député François-Michel Lambert, co-rapporteur d’une mission de l’Assemblée nationale sur la prévention des feux de forêt. Au-delà du coût humain, ces gigantesques incendies font peser une lourde menace sur la survie de nos forêts, alors que celles-ci jouent, précisément, un rôle majeur pour nous protéger du changement climatique. Selon l’Office nationale des forêts (ONF), les forêts françaises couvrent ainsi 31% du territoire métropolitain – une surface qui place l’Hexagone au quatrième rang des pays les plus boisés d’Europe. Un quart de cette étendue, soit 4,6 millions d’hectares, est géré par l’Etat (10%) et les communes françaises (15%), le reste appartenant à des gestionnaires privés.
Or chaque année, ce sont entre 3 000 et 4 000 feux qui s’embrasent en France. En dix ans, près de 115 000 hectares ont été touchés par les feux de forêt, ce qui représente une surface équivalente à dix fois la superficie de la ville de Paris. Jusqu’à présent, la très grande majorité de ces incendies (quatre sur cinq) ont été circonscrits aux régions françaises bordant la mer Méditerranée. Cependant, alertent les sénateurs auteurs du rapport pré-cité, « d’après les prévisions, le réchauffement climatique provoquera en France une probable extension géographique et chronologique du risque de feux de forêt. Plus de la moitié de nos forêts seront classées à risque d’ici à 2060, contre un tiers aujourd’hui ». Plus de feux, donc plus de risques de méga-feux, cela signifie « des conséquences environnementales, humaines et économiques terribles », prévient Antoine d’Amécourt, le président du syndicat Fransylva ; et moins de forêt, c’est moins de captage de CO2, moins de préservation des sols et moins de biodiversité : un véritable cercle vicieux.
« Une forêt non entretenue est une forêt dangereuse »
Comment l’enrayer ? Réduire les risques d’incendies passe, notamment, par la gestion et l’entretien rigoureux des forêts. Et pour cause : « une forêt non entretenue deviendrait une forêt dangereuse pour le public », explique Alain Thibaudet, forestier à l’ONF dans la Loire, selon qui « en cas d’incendies, si les forêts étaient broussailleuses, le feu serait beaucoup plus ravageur et les équipes de secours ne pourraient pas intervenir ! Les forestiers sont des professionnels avertis. Leur responsabilité, ils l’assument avec passion et humilité ». « Car c’est bien en entretenant nos forêts que nous réduisons l’impact des feux », abonde Antoine d’Amécourt : « la présence de l’homme en forêt pour surveiller, créer des pistes, améliorer l’accès aux pompiers, entretenir les mares forestières, limiter le bois mort et réduire ainsi les combustibles au sol… Une forêt gérée est moins sensible à l’incendie qu’une forêt non gérée », assure le président de Fransylva.
Cette nécessité d’entretien se décline notamment au travers de la politique française de défense de la forêt contre les incendies (DFCI), mise en œuvre par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation. La DFCI repose sur quatre grands axes, au premier rang desquels celui consistant à équiper, aménager et entretenir l’espace rural, dont fait partie l’espace forestier. Il s’agit notamment de couper les combustibles, de débroussailler, d’équiper en matériel de surveillance et d’intervention, ou encore d’efforts en matière de signalisation et de cartographie. Central dans la gestion des forêts et la prévention des incendies, le débroussaillement consiste à réduire les matières végétales de toute nature (herbes, branchages, feuilles, etc.) pouvant prendre feu et propager l’incendie ; il peut s’agir, par exemple, d’élaguer les arbres et arbustes, ou encore d’éliminer les résidus de coupe. D’autres mesures, comme la préservation de distances suffisamment longues entre les zones habitées et les forêts, peuvent également être appliquées.
Simples, ces mesures ont aussi et surtout fait la preuve de leur efficacité. En trente ans, la politique ministérielle de DFCI a ainsi permis une réduction de l’ordre de 80% de la superficie de forêts françaises parties en fumée.