Plan Climat, Loi climat et résilience, Loi énergie-climat… Longtemps ignorée par les principaux acteurs économiques et l’État, la question climatique s’invite désormais dans toutes les politiques publiques. Dans le bâtiment aussi, le respect des objectifs climatiques se traduit par des réglementations et dispositifs qui, en se voulant plus vertueux, ont transformé le secteur. Priorité nationale en la matière, la rénovation énergétique a ainsi vu ses pratiques bouleversées par l’instauration de multiples programmes d’aide financière, à l’image des certificats d’économies d’énergie. Les CEE, plus connus sous les noms de dispositifs « Coups de pouce chauffage » ou « Isolation à 1 euro », ont beaucoup fait parler d’eux ces dernières années, notamment pour les nombreuses dérives constatées dans la réalisation de ces travaux sans reste à charge (ou presque) pour les bénéficiaires. Afin de mieux encadrer le déploiement de la cinquième période de CEE (1er janvier 2022-31 décembre 2025), la Direction Générale Énergie Climat (DGEC) s’est récemment interrogée sur leur réelle contribution aux objectifs fixés par la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). Elle a profité de la révision des fiches d’opération standardisées les plus utilisées – outils de référence pour chaque poste d’amélioration énergétique – pour confier au cabinet Pouget Consultants une mission d’étude sur l’efficacité des fiches d’isolation des parois opaques (murs, toiture, combles et plancher) dans le secteur résidentiel.
Les conclusions de ce rapport remis le 9 juillet 2021 à la DGEC ont, sans surprise, pointé du doigt l’incompatibilité des travaux d’isolation thermique avec les objectifs climatiques de l’État. Les causes sont d’ailleurs bien connues, à en croire Pouget Consultants, puisqu’elles résident principalement dans les problèmes des ponts thermiques et d’étanchéité à l’air. « Le niveau BBC (bâtiment basse consommation) n’est atteignable que par le traitement des ponts thermiques et de l’étanchéité à l’air, et donc des interfaces et interactions entre lots », affirme le rapport, qui confirme l’intuition de la DGEC en jugeant « nécessaire d’actualiser les fiches d’opération standardisées ». Et pour cause : « il n’y a aucune condition d’exigence sur le type de pose [d’isolant], précisent les auteurs. Or, celle-ci peut avoir un impact très important sur la performance de la paroi après travaux (jusque 50 % de déperditions supplémentaires par rapport au calcul théorique sans prise en compte des ponts thermiques intégrés). Il semble donc essentiel de prendre en compte ces éléments. »
Travaux d’isolation inefficaces : l’histoire se répète…
Aussi alarmantes soient-elles, les conclusions du rapport commandé par la DGEC sont, cependant, tout sauf nouvelles pour les connaisseurs du secteur. Depuis l’éclatement du scandale de l’Isolgate en 2019, il est de notoriété publique que les laines de verre – type d’isolant très majoritaire sur le marché – sont particulièrement sensibles à l’air, comme l’avait mis en lumière un rapport parlementaire remis en 2014 par le député Jean-Yves Le Déaut et le sénateur Marcel Deneux. Pour que la performance de ces produits soit conforme aux promesses des fabricants, leur pose doit s’accompagner de l’installation d’un pare-vapeur, chargé de bloquer l’humidité, et d’un pare-pluie, qui empêche les infiltrations. « Force est de constater que la performance énergétique est largement conditionnée par la qualité de la pose du matériau, confirmait, début 2020, Jean-Yves Le Déaut aux Échos. Or, en France, aucun contrôle de la performance énergétique n’est effectué à posteriori . » Ce jeu de dupes a pourtant duré pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’une expertise ordonnée par le tribunal de commerce de Versailles afin de régler un vieux litige entre deux fabricants ne révèle enfin, accidentellement, la supercherie. Lors de l’instruction, la cour a en effet eu connaissance d’éléments qui « établissent la crainte du syndicat [d’isolants minéraux] de voir révéler que les performances thermiques de la laine minérales s’effondrent sous l’effet d’un manque d’étanchéité à l’air », ont rapporté les juges. Selon les documents réunis, la pose de ces matériaux sans pare-vapeur ni pare-pluie pouvait réduire leur efficacité thermique jusqu’à 75 % au moins de la performance affichée…
Pour y mettre un terme, Jean-Yves Le Déaut préconisait déjà que les pouvoirs publics réglementent les conditions de pose des laines minérales. Un vœu resté lettre morte malgré la menace de plus en plus pressante liée à l’urgence climatique. Deux ans plus tard, l’histoire risque fortement de se répéter après ces nouvelles révélations sur le manque de traitement de l’étanchéité de l’air. Si le cabinet Pouget Consultants tire la sonnette d’alarme, il estime toutefois qu’une prise en compte de l’étanchéité à l’air dans les fiches d’opération standardisée semble « difficile ». « Des préconisations pour traiter l’étanchéité à l’air en partie courante et au niveau des interfaces pourraient être faites : pare-vapeur en isolation par l’intérieur, par exemple », constatent les auteurs, mais « la majorité des représentants interrogés dans le cadre de cette étude sont fortement opposés à toute obligation de l’étanchéité à travers une exigence de moyen. »
Autrement dit : le problème est désormais connu et reconnu, la solution clairement identifiée, mais ces enseignements ne suffisent toujours pas pour être suivis d’actions. Ce constat d’échec ne serait pas aussi désolant s’il ne se faisait pas au détriment du climat, d’une part, et de l’argent public, de l’autre. En France, les laines minérales comptent pour environ deux-tiers du marché de l’isolation et représentent même 91 % des isolants employés dans les combles, selon les chiffres de l’Ademe (agence de la transition écologique). Parmi elles, les laines de verre, particulièrement sensibles à l’air, sont utilisées dans 70 % des cas. Alors que le gouvernement français a remis 7 milliards d’euros sur la table pour financer la rénovation énergétique entre 2021 et 2022, il en faudra toujours plus pour combler les trous…