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Redevance copie privée : l’économie circulaire menacée ?

redevance copie privée

            Autrefois limitée aux produits neufs, la redevance « copie privée » pourrait bientôt être étendue aux produits d’occasion reconditionnés. Une décision soutenue par le monde de la culture, mais qui pénaliserait le pouvoir d’achat, l’emploi et l’environnement en mettant en péril un secteur essentiel à l’économie circulaire. À Bercy, on s’active pour trouver une solution de compromis.

Une redevance au profit du monde de la culture

            Peu de consommateurs le savent, mais lorsqu’ils achètent un support numérique comportant une capacité de stockage — smartphone, tablette, disque dur externe, clé USB… – une part du prix d’achat est constituée de la redevance « copie privée ». Il s’agit d’un montant collecté puis reversé aux créateurs, artistes et producteurs qui vaut autorisation pour l’acheteur de copier et de sauvegarder les œuvres sur tous ses supports, dans le cadre d’un usage privé. La redevance « copie privée » est donc une licence qui crée une exception au droit d’auteur, et qui est censée compenser le manque à gagner pour le monde artistique induit par les nouvelles technologies.

Le montant de la redevance pour copie privée (RCP) dépend de la capacité de stockage du périphérique : elle va de 0,35 euro pour les CD de 700 Mo à 14 euros pour les smartphones, tablettes ou ordinateurs plus possédant une mémoire interne de plus de 64 Go. Mise en place en 1985, la RCP française est l’une des plus élevées d’Europe (en 2012, la perception moyenne par habitant de la redevance était 4,8 fois plus élevée en France que dans le reste de l’Union européenne, selon l’UFC Que Choisir). L’organisme chargé de percevoir la RCP, Copie France, a ainsi perçu 259 millions d’euros en 2019.

Celle-ci ne concernait jusqu’à présent que la vente de produits neufs, mais elle pourrait bien s’étendre aux produits d’occasion reconditionnés. Les nouvelles sommes ainsi perçues tomberaient à point nommé pour compenser le manque à gagner du milieu de la Culture : celui dû aux différentes fermetures (salles de concerts, cinéma, théâtres, festivals…) imposées par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre le Covid-19.

Mais certains parlementaires s’opposent à cette extension de la redevance, tels que le sénateur Patrick Chaize (LR) dont la proposition de loi souhaitant « rendre explicite lexclusion de lobligation de rémunération pour copie privée des produits reconditionnés, dont les smartphones et ordinateurs ayant déjà fait lobjet dune première mise sur le marché en Europe » devrait être examinée à l’Assemblée nationale le 7 juin prochain. Néanmoins, il y a peu de chance que cette dernière valide le texte, le gouvernement étant pour l’heure favorable à l’extension de la redevance. Mais à Bercy, Bruno le Maire et son conseiller politique Charles Sitzenstuhl s’activeraient pour tenter de sauver un secteur du reconditionné porteur, mais fragile. Et ils pourraient trouver en Barbara Pompili une alliée sur le dossier, tant l’économie circulaire s’impose comme un thème majeur dans la lutte pour la protection de l’environnement.

Un lourd impact sur un secteur essentiel à l’économie circulaire

            Sur l’économie tout d’abord : les acteurs du reconditionnement estiment que cette redevance réduirait de 150 millions leurs chiffres d’affaires. Un manque à gagner qui pourrait entraîner la disparition de la moitié des 5 000 emplois qu’a créé cette filière en France. Il s’agirait en effet d’un fardeau supplémentaire pour les entreprises françaises du reconditionnement, qui se trouvent déjà dans une situation de concurrence déloyale avec leurs pairs étrangers en ligne qui ne payent ni les taxes françaises, ni de redevance. Beaucoup d’entre elles pourraient donc mettre la clé sous la porte, avec un manque à gagner pour les comptes publics supérieur au montant de la redevance étendue.

Du point de vue des consommateurs également, cette extension de la RCP serait une mauvaise nouvelle : plus de 70 % des Français — en particulier les plus modestes — achètent régulièrement des produits d’occasion (en majorité des smartphones) dont le prix augmenterait du jour au lendemain de 6 à 12%. Une mesure néfaste pour le pouvoir d’achat et que certains acteurs du reconditionnement qualifient d’injuste, puisque la redevance serait ainsi payée deux fois sur le même produit (à l’achat neuf, puis à l’achat d’occasion), et que l’usage croissant du streaming (via Netflix ou Spotify par exemple) exonère la consommation d’audiovisuel de disposer d’une capacité de stockage.

Mais si la redevance copie privée était entendue aux produits reconditionnés, le manque à gagner le plus inquiétant concernerait probablement l’environnement : ceux-ci sont en effet essentiels à l’économie circulaire, et devraient être encouragés par les pouvoirs publics à l’heure d’une prise de conscience généralisée des méfaits de la surconsommation. L’achat de produits d’occasion permet en effet de limiter au maximum l’impact sur l’environnement, et ce à tous les niveaux : un produit reconditionné est en quelque sorte « immédiatement recyclé » et ne nécessite donc pas l’extraction de nouvelles matières premières ; il est en général acheté dans un endroit relativement proche du lieu où son premier propriétaire l’a revendu, ce qui favorise les circuits courts ; et la quantité de déchets à collecter et à traiter diminue d’autant. L’ADEME, l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, estime ainsi que reconditionner un smartphone évite l’émission de l’équivalent de 30 kg de CO₂. Certains acteurs de la filière évaluent que le reconditionnement des 100 millions de téléphones et 10 millions d’ordinateurs non utilisés par les Français amènerait une réduction de 3,60 milliards de tonnes d’équivalent CO2, c’est-à-dire dix fois les émissions annuelles de la France.

L’achat de produits reconditionnés est donc un mode de consommation dans l’air du temps, car économique et écologique, et favorable à la fois à l’emploi et au pouvoir d’achat. Mais le contexte politique et juridique joue contre lui : outre l’arbitrage du gouvernement en faveur du ministère de la Culture sur la question de l’extension de la RCP, Copie France a assigné en janvier 2020 plusieurs acteurs du reconditionné devant le tribunal judiciaire de Paris pour leur réclamer cinq ans d’arriéré « au titre des téléphones mobiles multimédias quil met en circulation sous sa propre marque après avoir procédé à leur reconditionnement » — une somme qui pourrait atteindre 100 millions d’euros.

Paradoxalement, un mois après le lancement de cette procédure était promulguée la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dans laquelle le reconditionnement s’inscrit parfaitement. Le gouvernement continuera-t-il donc à soutenir l’extension de la redevance copie privée, au prix d’un certain manque de cohérence ? Il en va de la survie de l’Économie circulaire, thème montant des prochains scrutins électoraux.  

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