En fin d’année, le Gouvernement a lancé un plan à 100 millions d’euros pour réduire les importations de protéines végétales. Le but : développer la production nationale de légumineuses, protéagineux et oléagineux afin d’atténuer la forte dépendance vis-à-vis des pays étrangers.
Première puissance agricole d’Europe, la France dépend pourtant à près de 50 % des importations pour les protéines végétales. Ces matières nourrissent en grande partie les animaux d’élevage français, en particulier le soja brésilien, responsable de la déforestation de la forêt amazonienne. Alors pour renforcer la souveraineté alimentaire française et réduire sa pression environnementale, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, a présenté le 1er décembre 2020 un plan sans précédent de 100 millions d’euros. Le Gouvernement prévoit ainsi d’augmenter de 40 % les surfaces de légumineuses dans l’Hexagone d’ici trois ans, et même de les doubler d’ici 10 ans. « Ce doublement doit nous permettre de regagner 10 points de marge, explique Julien Denormandie. Cela peut paraître peu, mais l’objectif est avant tout de casser la dynamique. » Et de transformer cette filière en nouvel atout économique pour le pays, actuellement très dépendant des fluctuations des marchés mondiaux.
En France, les protéines végétales sont importées principalement du continent américain et servent dans leur immense majorité (80 %) à nourrir les animaux. Il s’agit principalement de soja et de luzerne. Le reste des importations (20 %), essentiellement des haricots secs, lentilles et pois, est utilisé pour l’alimentation humaine, dont la France ne produit qu’un tiers de sa consommation, selon le ministère. La moitié des protéines végétales données aux bêtes est produite par les éleveurs eux-mêmes, mais il est parfois plus simple et moins cher de recourir à des aliments tout préparés, comme les tourteaux de soja. Ces derniers constituent près d’un tiers de l’alimentation des bovins laitiers et des volailles de chair, précise le ministère. Sur les 100 millions d’euros alloués au plan de relocalisation de la production, la moitié sera dédiée à la structuration des filières, 30 millions à la recherche et développement, 10 millions aux aides à l’achat de semences et 10 millions pour les outils et matériels de stockage. « Ce plan est une véritable rampe de lancement, créatrice d’emplois », a réagi François Cholat, président du Syndicat national de l’industrie de la nutrition animale (SNIA).
Protéines végétales : débouchés doubles
Outre l’intérêt économique, regagner en autonomie protéique constitue également un impératif environnemental. En important les produits de cultures étrangères, la France contribue à la déforestation des territoires producteurs, où les forêts sont souvent rasées pour être transformées en terres agricoles. Fin août, alors qu’une partie de la forêt amazonienne partait – encore – en fumée, Emmanuel Macron avait ainsi reconnu la « part de complicité » des Européens dans cette tragédie. L’Union européenne importe en effet chaque année 33 millions de tonnes de soja, dont la majorité provient du Brésil. Les pays de l’UE sont dépendants à 70 % des protéines végétales étrangères. Un déséquilibre qui trouve sa source dans les années 60, quand un accord commercial négocié par le GATT (ancêtre de l’OMC) a réparti la production des protéines végétales (soja, colza) au continent américain et celle de l’amidon (blé, céréales) à l’Europe. D’ici 2030, la France s’est engagée, via son Plan Climat adopté en 2017, à mettre fin à la déforestation causée par l’importation de produits forestiers ou agricoles non durables. Cela inclut l’huile de palme, dont la production est également la cause de déforestation en Asie notamment.
Pour le Gouvernement, l’enjeu est donc de favoriser le développement d’une offre française locale pour répondre à la demande croissante en protéines végétales, aussi bien pour la consommation animale qu’humaine. Si le plan protéine du gouvernement semble réalisable, il suppose toutefois des incitations et débouchés pour les agriculteurs souhaitant se diversifier dans la production de ces protéines végétales. En matière de débouchés, le développement de certaines cultures comme les graines oléagineuses de colza et de tournesol paraît particulièrement prometteur. D’une part, le fruit de ces cultures participe à la production de nourriture animale (tourteaux) et à l’alimentation humaine (huile de colza) ; d’autre part, il sert également à produire des énergies nouvelles comme les biocarburants. « La production de biodiesel et la protéine de colza sont totalement liées. Lorsque nous produisons 1 litre de biodiesel de soja et de tournesol, nous produisons en même temps 1,6 kilo de protéines de tourteau qui vont nourrir les élevages français, explique Kristell Guizouarn, présidente de l’EBB (European Biodiesel Board). Les intérêts d’une production 100 % française, c’est tout d’abord de lutter contre le réchauffement climatique en produisant une énergie renouvelable issue des territoires, qui réduit les émissions de gaz à effet de serre par rapport au gazole. […] L’autre élément, c’est de produire une protéine locale de colza non OGM qui remplace l’importation de tourteau de soja d’Amérique du Sud, qui contribue à la déforestation. » Cette biomasse liquide, renouvelable et made in France trouve aussi des débouchés dans les territoires insulaires. Dans les DOM-TOM, elle pourra servir à alimenter les moteurs thermiques en remplacement des moteurs au fioul des centrales électriques. Grâce à la biomasse liquide (substitut vert du fioul) et solide (substitut vert au charbon), la Réunion prévoit ainsi de produire 100 % d’électricité renouvelable d’ici trois ans. En Guyane, une nouvelle centrale électrique alimentée par des biocombustibles devrait remplacer la centrale au fioul lourd de Degrad-des-Cannes, qui sera arrêtée en 2023. Là aussi, l’intérêt de cet investissement est double : il profitera aussi bien à l’économie locale qu’à la décarbonation du mix électrique…